Paris (75) Culture

Emman : « Le fait d’être artiste, c’est avant tout un mode de pensée »

Publié le  Par Laurent Pradal

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Emman

La galerie Oberkampf, dans le 11ème arrondissement de Paris, expose du 14 au 26 novembre 2015 un jeune artiste de 20 ans, Emman, présentant ses travaux autour des écritures automatiques. Influences des surréalistes, travaux sur de nouveaux matériaux, positivité de ses œuvres… le jeune homme a raconté son histoire et sa manière de voir les choses à notre rédaction.

Parisdepeches : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être artiste ?
 

Le fait d’être artiste, c’est avant tout un mode de pensée, et puis surtout c’est quelque chose qu’on ne développe pas par affinité mais plutôt qu’on vit. Personnellement, depuis ma petite enfance, je fais du dessin, je pratique les arts plastiques et c’est quelque chose qu’on développe. Il faut être curieux des choses et se poser des questions en continue sur ce qui nous entoure, les problématiques des temps que l’on vit, et peut-être dans mon cas quelque chose de plus général, qui pourrait être intemporel. J’essaye de mettre en valeur des aspects positifs et optimistes de la vie, comment retranscrire un sentiment de positivité sans être dans la dénonciation et dans le ciblage d’un thème particulier. Dans mon art, même s’il est tout jeune, on observe plusieurs périodes. Il y a encore beaucoup de possibilités dans son développement. Au fil de mes créations, j’arrive à une période un peu abstraite et qui ouvre le champ de réflexion.
 

Parisdepeches : Est-ce que les événements des derniers jours vous inspirent pour une œuvre à venir ?
 

Je me suis souvent demander comment faire une œuvre qui évoque un sentiment positif à chaque être. En ces temps troubles, on a besoin de choses positives. Evidemment, c’est utopique, mais j’espère que cela va déboucher sur quelque chose. Pas forcément dans quelque chose de classique, comme la peinture ou la sculpture. J’aime bien par exemple customiser tout ce qui m’entoure. Le support n’est pas que papier ou provenant d’un bloc de pierre. Je pars du principe que l’art, c’est aussi quelque chose qui, à chaque fois qu’on le regarde, doit susciter quelque chose, une émotion, rappeler une mémoire enfouie ou quelque chose qui nous émeuve.
 

Parisdepeches : Vous dites que la peinture et la sculpture sont des choses classiques. Avez-vous pensé, mis à part la customisation d’objets, à d’autres supports ou matériaux ?
 

J’ai déjà fait quelques expériences, par exemple avec des plaques de zinc gravées. C’est une méthode de gravure classique, on fait des creux aux endroits où l’on veut que cela soit imprimé, ensuite on passe l’encre puis on nettoie autour des creux, et on imprime sur une feuille posée dessus. J’ai un peu détourné cette méthode en faisant mes creux dans les plaques à l’acide avec une technique appelée « eau forte ». J’ai pris ma plaque avec les crevasses, ce qui en fait un matériau utilisable en soi. Il y a une peinture à l’entrée (de la galerie, ndlr) sur laquelle j’ai collé une plaque qui a été très ciselée. Voilà peut-être un nouveau support, quelque chose qui sort de l’ordinaire. En ce moment il y a beaucoup de matériaux nouveaux qui se développent, avec les nouvelles technologies. J’ai vu par exemple un matériau, le plus léger du monde, une fibre, et si on la détourne pour l’art il peut se passer des choses vraiment hallucinantes pour les sculptures par exemple. Ça pourrait être intéressant vu que je travaille sur des matériaux flottant et assez léger.
 

Parisdepeches : Vous êtes un artiste très jeune, vous avez 20 ans. Est-ce que votre âge a été un frein dans le développement de votre art auprès du public et de vos pairs ?
 

Je le vis assez mal. Je n’impose rien à travers mon art aux gens qui peuvent le regarder et s’y intéresser. Il y a deux cas de figure : ça peut être positif, parce qu’on se dit qu’il est jeune, c’est peut-être un espoir, quelqu’un qui peut peut-être influencer les mentalités, ou bien ça peut susciter des jalousies. C’est dommage, le fait qu’on se dise que je n’ai que 20 ans, que je n’ai pas d’expérience. L’âge, c’est quelque chose d’un peu délicat. En tout cas, je suis assez heureux de pouvoir favoriser une ouverture d’esprit, d’être assez à l’écoute de ce qui est autour de moi, et c’est ce qui me permet de développer des concepts plus profonds que la simple observation de la réalité.
 

Parisdepeches : Vous travaillez sur les écritures graphiques automatiques, que vous transformez en œuvre d’art. Pourquoi l’écriture automatique ? Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
 

Quand je réalise ces écritures, ça vient spontanément, c’est l’esprit de cette méthode de création. Je me suis inspiré des écritures surréalistes automatiques, quelque chose d’assez spontané et irréfléchi. Pour moi, la base de cette idée c’est la représentation graphique de la pensée. La pensée c’est quelque chose qui flotte, c’est une énergie, c’est quelque chose que l’on peut partager. On peut arriver dans un lieu et puis ressentir une force ou simplement être à côté de quelqu’un, se sentir observer et le ressentir pleinement. Ce sont des constatations émotionnelles. J’essaye de les retranscrire à travers cet aspect graphique. Le principe, c’est que ces écritures n’ont pas de sens, ce n’est pas quelque chose qui a un message unique, c’est une ouverture sur des interprétations possibles et diverses. Ce « non-sens », je pense que c’est ce qui fait aussi sa particularité. Ça amène un mystère qui a la capacité de charmer, d’amener un enthousiasme et une joie. C’est un peu par exemple comme la quête du Graal. Le Graal est décrit comme un objet physique, mais finalement qu’est-ce que c’est ? C’est un concept mental. Le but final, trouver le Graal, c’est moins important que la réflexion et le questionnement qui vient avec. Pour moi l’écriture automatique, c’est la recherche du Graal, c’est le mystère et quelque chose qui peut-être n’aura jamais de réponses, ou en tout cas une réponse individuelle et personnelle pour chacun.
 

Les Marcheurs, d'Emman, en sculpture sur socle en écritures automatiques, exposé à la galerie Oberkampf dans le 11ème arrondissement de ParisParisdepeches : On ressent une démarche quasi philosophique dans vos œuvres. Je prends pour exemple la sculpture du Marcheur, sur laquelle vous avez déclaré que « l’immobilisme, c’est le moment où on s’arrête d’être heureux. Le marcheur, c’est moi, c’est vous… ». Y a-t-il des philosophes en particulier qui vous inspire ? Quelles sont vos autres sources d’inspiration ?
 

Je ne connais pas énormément de philosophes, mais en tout cas j’aime beaucoup Gilles Deleuze, en particulier son Abécédaire dans lequel il développe une notion pour chaque lettre de l’alphabet. Tout est cohérent dans cet abécédaire, je trouve ça vraiment intéressant. Je pense qu’avant tout la philosophie, c’est la curiosité. L’art, comme la création, c’est aussi la curiosité et la volonté de partager un mode de penser, le sien. Après, en ce qui concerne l’art, il y a l’influence de Giacommetti, et le thème du Marcheur, à travers son œuvre, ça me touche vraiment. J’ai essayé de le détourner un peu parce que chez Giacommetti, on retrouve un aspect plus physique. Son « marcheur » a des mains et des pieds alors que sur le mien, ce n’est pas le cas. J’ai essayé d’épurer totalement comme si c’était tout simplement une silhouette, une ombre. L’absence des mains et des pieds, dans le concept c’est assez important parce qu’ils n’ont pas de saisie, ils parcourent un monde qui leur est propre. C’est comme un idéal auquel chacun tend. Ils parcourent sans laisser de traces, sans jugement. Ils sont comme l’écriture : assez linéaires.
 

Parisdepeches : Selon les surréalistes, l’écriture automatique se définit comme « un mode de création littéraire permettant de s’émanciper de l’étroitesse de la pensée régie par la raison ». Est-ce que votre art s’inspire de cette définition ?
 

Oui, je pense que chaque être humain est d’une certaine manière conditionné. Je suis en train de lire un livre qui s’intitule Le Guerrier pacifique, et qui raconte un parcours initiatique spirituelle d’une personne qui explique son vécu, qui a rencontré une personne sage, un petit peu comme Socrate, et je pense que, à part ces individus qui sont particuliers, la plupart des gens est trop conditionnée par la société et a un mode de penser assez étroit, à cause de la raison, à cause du fait qu’on s’explique toujours les choses. La raison met un frein au ressenti pur de la vie, du moment présent. On est soit dans la mélancolie du passé, soit dans l’appréhension de l’avenir, on ne se permet pas de vivre les choses pleinement, et c’est cette raison qui bloque tout. Pour revenir à l’écriture, la raison n’intervient pas. Le message est intérieur, il est réfléchi et c’est à chacun de le découvrir.
 

Parisdepeches : Est-ce que les pratiques spirites qui découlent également de manière générale de l’écriture automatique vous inspirent ou vous ont inspiré ?
 

La méthode de création est très spontanée, ça va très vite et c’est aussi le principe. Il faut que cela soit plus que ma simple volonté. Il n’y a pas une force supérieure qui vient me donner l’inspiration pour mes écritures mais en tout cas il y a quelque chose qui ne dépend pas de moi. Après, il y a un côté « runique » à mes écritures. Je fais souvent référence à la pierre de Rosette. C’était un mystère quand ils l’ont découverte, ils ont réussi par la suite à faire le lien entre la langue grecque et les hiéroglyphes. Ces écritures, ce sont comme des stèles : chaque bout d’écriture sur chaque tableau, c’est une stèle métaphorique. C’est une métaphore de la recherche, de la réflexion et de la contemplation.
 

Parisdepeches : Si la conscience et la volonté n’interviennent pas dans la démarche d’écriture automatique, qu’est-ce qui intervient dans votre art ?
 

Chaque artiste est influencé par ses prédécesseurs et puis par tout ce que l’on peut voir. Ce qui intervient, c’est principalement de la technique. Au début, c’était très spontané, c’était beaucoup plus brut, très tranchant. Avec le temps, c’est beaucoup plus homogène, plus géométrique. Forcément, après il y a une sorte d’automatisme des formes qui revient. Je pense que j’y réfléchis sur l’instant mais ça va très vite. Ce qu’il faut garder à l’esprit c’est que c’est un motif et que le fait que cela soit linéaire donne l’impression d’écriture. J’essaye visuellement de rendre l’espace très régulier, je ne sais pas si on peut intégrer une notion mathématique là-dedans mais je me dis que l’épaisseur de la ligne à une mesure de tant de centimètre et je comble les vides par des formes. Les symboles s’induisent les uns avec les autres et se répondent.
 

Parisdepeches : Faut-il être dans un état particulier entre le sommeil et le réveil pour créer, comme le disait André Breton ? Appliquez-vous cette méthode à votre manière de peindre ou de sculpter ?
 

Je n’ai pas été très souvent fatigué cette année, mis à part pour le montage de l’exposition, mais en général je suis assez calme et dans un bon état d’esprit, parce qu’il faut aussi que je veuille mettre sur support ces écritures, que j’en aie envie, et je ne me force pas à le faire. Le faire me vide l’esprit. Je peux « écrire » pendant des heures, en général le soir. C’est quelque chose d’assez nocturne, comme activité, quand on est apaisé qu’il n’y a pas de bruit. Je me mets de la musique parfois, la musique influençant beaucoup, du Chopin, du Erick Satie, du Philippe Glass par exemple.
 

Parisdepeches : Parmi toutes ces œuvres, est-ce que l’une d’entre elle vous tient particulièrement à cœur ?
 

Le parcours des Marcheurs, en particulier. Pour moi il résume assez bien les trois concepts développés dans une autre de mes oeuvres, Les Graines : d’abord c’est l’idée d’une naissance, d’une ouverture sur quelque chose et d’un germe dont chacun doit trouver le révélateur. La graine, c’est la représentation d’une opportunité, d’une idée ou de quelque chose qui se présente à nous dans la vie et qui permet d’avancer. Et justement, avec ces Marcheurs qui avancent, ça correspond bien. Les Marcheurs sont également les récepteurs et les capteurs de l’écriture, qui représentent les pensées. A gauche du tableau, on voit que l’écriture est entière et complète, puis en allant vers la droite, elle se délite, elle se transforme en petits tirets. Ce sont des morceaux de pensées et cette écriture qui représente un sens ultime ou en tout cas quelque chose de fini et de ressenti, ce sont des morceaux que l’on peut saisir et capter pour reconstituer l’écriture de l’autre côté. Il y a une idée de flux, un flot de pensées continu. Dans ce tableau, il y a aussi les couleurs, la nuit d’un côté, le jour de l’autre, et en même temps ces ronds que l’on voit de part et d’autres, se sont aussi les graines, lumineuses d’un côté, plus sombres de l’autre, c’est une réponse paradoxale entre la droite et la gauche et ça représente le parcours de la vie. Ils se lancent là-dedans à corps perdu, ils ne savent pas où ils vont mais ils y vont, ils marchent. Ils ne savent pas où ils vont aller mais il y a toujours une intrigue et une curiosité qui les poussent à avancer.

Les Marcheurs, d'Emman, exposé à la galerie Oberkampf, dans le 11ème arrondissement de Paris

Parisdepeches : Avez-vous un ou plusieurs conseils à donner à des jeunes qui voudraient suivre vos pas ?
 

J’aimerais beaucoup donner des conseils aux jeunes, j’aimerais bien même un jour enseigner. Je ne sais pas si c’est prétentieux ou orgueilleux de ma part mais j’aimerais bien. Si des gens s’y intéressent et ont envie de se demander comment je fais ça, je souhaiterais essayer de développer ça avec eux. Aujourd’hui il n’existe pas vraiment de mouvements artistiques, c’est très individualiste l’art, et je trouve que ça manque, une réunion de pensées communes. Si j’ai un conseil et un seul à donner, c’est la curiosité, ne jamais se braquer et être fermé sur quelque chose. Il y a beaucoup de tabous dans la vie et je pense qu'il ne vaut mieux pas en avoir.


Emmanuscrit se tient du 14 au 26 novembre 2015 à la galerie Oberkampf, 103 rue Saint-Maur, 75011 Paris. Ouvert de 9h à 20h. Métro ligne 3 station « Rue Saint-Maur ». Entrée libre.

 







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