France Culture

Ma grande, de Claire Castillon

Publié le  Par Pascal Hébert

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Jean-François Paga

Claire Castillon écrit sur les relations humaines en prenant le soin d’aller titiller les fragilités. Au fil du temps, le couple s’invite dans sa création comme c’est le cas avec son dernier roman, Ma grande. Une fois de plus, Claire Castillon s’amuse à endosser le rôle de l’autre en donnant sa voix à un homme qui raconte son quotidien avec une femme. Et quel quotidien ! La romancière n’y va pas par quatre chemins en donnant le rôle principal à un conjoint, soumis au diktat d’une sérieuse contrôlante, capricieuse et finalement malheureuse.

Avec un style narratif particulièrement bien enlevé, Claire maîtrise au maximum les émotions de ses personnages qui vivent un huis clos dévastateur et destructeur. Evitant l’écueil du pathos, la romancière s’amuse aussi avec des figures de style redoutables. Dans cette histoire, Claire Castillon n’hésite pas à donner les détails d’une relation complexe et les subterfuges d’un homme qui essaie d’éviter les conflits. Ma grande est une lettre adressée à une femme hermétique, dont le cœur est enfermé dans un coffre-fort. Au-delà de cette histoire, si Claire Castillon pose son récit sur notre table de chevet sans rien attendre, des questions surgissent inévitablement à chaque page sur l’amour entre deux êtres et leur relation. Car c’est bien la question de l’amour qui se niche dans ce roman. Claire Castillon n’hésite pas non plus à mettre en scène la fille du couple répondant à l’injonction maternelle en choisissant son camp. Les relations entre le mari et ses amis, sans oublier la famille, sont décrites avec un réalisme surprenant. In fine, on assiste impuissant à un retour sur image d’une histoire dérangeante et douloureuse comme sait si bien les écrire Claire Castillon. Bien évidemment, nous serions tentés de penser que plutôt subir, cet homme aurait dû fuir, partir sans se retourner. Mais la réalité est plus complexe et c’est bien ce que nous montre Claire Castillon avec tout le talent qu’on lui connaît. Etrangement, ce roman fait écho à Sorry Angel, une chanson de Mister Gainsbourg : « C’est moi qui t’ai suicidée mon amour. Je n’en valais pas la peine tu sais ».

 

Pour quelle raison as-tu eu envie de te lancer dans un roman sur une relation, avec un dominant et un dominé, allant jusqu’à l’extrême ?

Dominant et dominé sont des termes que je réserve à des relations sado maso qui ne sont ni les miennes ni celles du personnage du livre, parce que la domination qui s’exerce est sournoise et parfois se renverse mais, en tout cas, ne prend jamais la forme d’une relation esclavagiste. Ce qui m’a intéressée, c’est cette forme d’exercice du pouvoir dans le couple qui jamais ne se donne pour tel et repose moins sur l’autorité de ce que vous appelez « dominant » que sur la peur inexplicable de celui que vous appelez « dominé ». Au fond, ce que je voulais montrer, c’est que le dominé est celui qui consent à sa domination. C’est vrai dans le couple et sans doute dans bien des domaines.

Que penses-tu de cette femme appelée Ma grande ?

Bien sûr cette femme n’est pas un personnage réel, mais elle est la synthèse de bien des femmes que j’ai rencontrées et ce qui m’intéressait n’est pas la psychologie de cette femme, les ressorts de sa perversité et de sa sournoiserie, mais comment cette perversité et cette sournoiserie s’expriment presque sans parole et sans geste.

« La grande passion de cet homme, c’est en effet la peur »

De son mari ?

 

Il y a une phrase d’un philosophe Hobbes qui dit « La peur a été la grande passion de ma vie ». La grande passion de cet homme, c’est en effet la peur. Et paradoxalement, il s’en délivrera par un acte criminel qui devrait le replonger dans la peur mais qui l’en libèrera. C’est ce quotidien conjugal qui constitue sa plus grande terreur sans qu’elle soit jamais explicitée ou qu’il risque vraiment sa peau. Il aura finalement sa peau. A elle.

Qu’est ce qui réunit ces deux êtres, qui finalement sont ensemble sur un malentendu ?

Ça devrait être leur enfant, et malheureusement l’enfant est comme ces condamnés qu’autrefois on écartelait, une jambe à droite et l’autre très loin à gauche. C’est plutôt une sorte de microcosmique idéal domestique commun : il veut une famille, elle veut une piscine et ils ont pu croire que ça allait marcher ensemble.

Est-ce que tu penses que dans un couple, il y a forcément un des deux qui doit dominer ?

La domination, c’est moche. Le couple, ce sont des relations qui ne sont pas de pouvoir. C’est parfois, dans des domaines précis, des relations d’autorité qui font qu’on fait confiance à quelqu’un sur un point donné, mais jamais on doit se sentir l’obligé, l’inférieur, le subordonné ou l’esclave. Un point important : dans une relation de domination, les rôles sont généralement figés. Dans une relation conjugale où parfois l’autorité s’exerce, chacun peut exercer tour à tour un des rôles. Les positions sont réversibles ; et l’autorité toujours bienveillante, visant à élever l’autre, pas à le rabaisser ni à lui faire mal.

Où se situe l’amour dans cette histoire ?

Pour elle, c’est un amour de consommation, l’amour des objets. Pour lui, c’est, au début, l’amour de sa fille et puis très vite l’amour pour son fantasme : le fantasme d’une situation dramatique qui s’arrangerait soudain comme par miracle. Elle, elle aime le plus tangible, ce qui s’achète, ce qui coûte, et lui aime un mirage à réaliser. Bon, enfin en attendant s’ils avaient baisé davantage, ils seraient toujours ensemble !

« L’amour se nourrit d’intérêt réciproque, de curiosité, de discussion et de chair »

Le quotidien est-il le cancer de l’amour ?

Non, parce qu’il est ce qui permet à l’amour de s’inscrire vraiment dans la vie quotidienne et de s’accorder avec toutes les dimensions de ce quotidien qui sont le travail, les enfants, la famille, et la certitude que malgré tout cela on se retrouvera chaque jour et que l’amour aura sa place. Encore faut-il avoir la capacité de ne pas se laisser totalement absorber par le poids des autres obligations, sinon l’amour réduit à sa portion congrue souffre.

Un enfant dans ce cas précis répond à un symptôme ou à une raison sociale ?

En fait, lui est heureux de cette grossesse parce qu’il pense qu’elle va favoriser le changement. Il  espère tout le temps, contre les évidences, que sa femme devenue mère sera meilleure. Quant à elle, il est évident que l’enfant répond à un calcul : père de famille, jamais son mari ne pourra la quitter.

Qu’est ce qui fait que cet homme reste et accepte les conflits sans fin et l’humiliation quotidienne ?

Il y a une raison très connue des avocats et des magistrats, c’est qu’il a peur en quittant sa femme de ne plus pouvoir voir sa fille. Il vit un quotidien pourri mais, au début, il reste accroché, heureux de sa relation à un avenir radieux qu’il ne cesse d’envisager. Donc c’est un homme qui souffre quotidiennement, terriblement, mais il pense sa souffrance transitoire : il est accroché au passé et suspendu au futur. Le présent est juste un pont difficile à passer.

 

Et toi, que penses-tu de la relation d’un homme et d’une femme dans un couple ?

Il n’y a pas de recette, pas de règle, pour que la relation réussisse. J’ai parlé des relations  d’autorité réciproque  mais au-delà l’amour se nourrit d’intérêt réciproque, de curiosité, de discussion et de chair. Sans cette dimension charnelle, on est dans une amitié ++, qui peut durer mais qui est mortifère et finira par exploser. Parce que cet aspect infuse, nourrit tous les autres aspects de la relation en créant une connivence. Sans les aspects psychiques et intellectuels, le commerce des corps finit par être ennuyeux.

Propos recueillis par Pascal Hébert.

Ma grande, de Claire Castillon. Editions Gallimard. 146 pages. 15 €.
 


Proxima du Centaure, de Claire Castillon

Depuis plusieurs années, Claire Castillon laisse vagabonder sa plume dans la littérature jeunesse. Une sorte d’exercice de style pour une jolie femme qui n’en manque pas ! S’adressant principalement aux adolescents, la romancière utilise son talent pour faire jaillir des histoires uniques. Dans ce monde où tout commence et où tout peut se terminer aussi vite, l’amour occupe une place prépondérante. Dans ce livre pour jeunesse, ce moteur de l’amour un peu confus dans ces années de collège ou de lycée est merveilleusement décrit par Claire Castillon. Cette spécialiste des premiers émois a le don pour se mettre dans la tête de ses personnages qui nous décrivent leur univers sans préjugés. Lorsque les adolescents de Claire Castillon sont amoureux, leur imagination est en pleine ébullition ! Un peu trop parfois. Notamment pour le héros du dernier livre pour jeunesse de Claire Castillon qui est tombé amoureux. Un amour qui le fera tomber du plus haut de son âme… mais aussi de l’étage de l’appartement où il habite. Dirigé vers l’hôpital où il est tétraplégique sans aucun moyen de s’exprimer, il laisse son âme se balader dans son imagination où apparaît la belle de ses rêves. Sans oublier un éventuel concurrent qui pourrait profiter de la situation. Avec une écriture soignée où l’humour n’est jamais loin malgré la tragédie des situations, Claire Castillon nous embarque dans ce huis clos familial. Si les derniers chapitres ne laissent guère entrevoir le paradis, il s’ouvre malgré tout sur les étoiles qui apportent leur lumière sur cette basse terre. Du grand art ou plutôt du Claire Castillon !

Pascal Hébert

Proxima du Centaure, de Claire Castillon. Flammarion Jeunesse. 223 pages. 13 €.







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