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Platini, Bendali et moi

Publié le  Par Un Contributeur

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Redouane Bendali, monument de la presse sportive algérienne, 50 ans de journalisme dans les jambes, me donne rendez-vous un dimanche matin devant l’école primaire du Parc Beyrouth (Ex Mont-Riant) à Telemly. Il devrait y être question de ses multiples rencontres avec l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football, Michel Platini. Je ne comprendrai que plus tard le choix de ce lieu. Par Redha Menassel

Redha Menassel : 356 buts au compteur, meilleur bianconero de tous les temps à la Juventus de Turin, premier joueur de l’histoire à avoir enchaîné les ballons d’or en 83, 84 et 85, capitaine puis sélectionneur de l’équipe de France, président de l’UEFA avec les scandales que l’on connaît, tu as interviewé plusieurs fois ce milieu offensif de légende.


Redouane Bendali : Oui, j’ai rencontré Michel Platini à deux reprises. La première fois, en 1985, avait coïncidé avec l’arrivée de la Juventus à Alger pour y disputer un match amical initié par l’entreprise nationale Sonacom, qui entretenait des relations commerciales avec le constructeur Fiat de Turin.

Une des particularités à l’époque résidait dans le fait que les entreprises publiques venaient en aide financièrement à la Fédération algérienne de football pour lui permettre d’inviter de grands clubs. La chance étant parfois la meilleure amie du journaliste, j’avais un bon copain, Youcef Lahlou, qui était cadre à la Sonacom et qui m’avait promis un accès privilégié aux joueurs de la Vieille Dame.
 

R.M. : Tu es donc l’un des seuls à avoir pu les approcher ?


R.B. : Oui ! La sécurité était maximale à l’aéroport. Nous n’étions que deux journalistes, un collègue de l’APS et moi-même, à pouvoir atteindre la piste pour guetter l’arrivée de l’avion spécial des Zèbres. Après de longues heures, il atterrit enfin. Les joueurs en descendent, montent rapidement dans le bus, je leur emboite le pas…et je croise pour la première fois le regard de Michel Platini.
 

R.M. : Comment procèdes-tu pour l’approcher ?


R.B. : Platini n’était pas d’un abord facile, probablement la fatigue du voyage. Je commence donc par m’échauffer en lui posant les "questions du douanier" : Qu’avez-vous à déclarer ? Comment voyez-vous le déroulement du match ? Les classiques du journaliste en manque d’inspiration. Je comptais sur ces questions "bateau" pour le mettre en confiance avant d’attaquer mon interview de fond...mais il n’était pas très loquace et le trajet en bus de l’avion vers l’aérogare n’a duré au final que 3 minutes. Arrivé au niveau de la douane, je rejoins mon ami de la Sonacom à qui je me plains de ne pas avoir eu le temps de faire mon travail correctement.
 

R.M. : C’est clair qu’on ne remplit pas une page sportive avec ça…
 

R.B. : Surtout que j’étais à El Moudjahid où l’on m’avait exigé deux longues interviews au minimum. L’affiche de rêve « Belloumi – Platini » méritait au moins cela. Mon ami Youcef Lahlou était bien conscient de l’enjeu et il se débrouilla – allez savoir comment – pour me faire monter dans le bus qui emmenait les Gobbi vers leur hôtel. J’avais donc devant moi une bonne demi-heure, plus si la circulation jouait le jeu.


Redouane Bendali dans le bus avec Michel Platini, archives personnelles.



A l’arrière du bus, Platini discutait tranquillement avec le polonais Zbigniew Boniek, un excellent joueur qui deviendra président de la Fédération Polonaise de Football par la suite. C’est d’ailleurs grâce à lui que Platoche marquera son premier but en série A. Déterminé à ne pas rater ma "seconde chance", je me dirige d’un pas décidé vers Platini qui s’écrie en me voyant : Encore vous ? …

 

R.M. : Il a dit ça sur quel ton ? Contrarié ? Amusé ?
 

R.B. : Un peu des deux je pense. Je ne me suis pas démonté et je lui ai annoncé avec un sourire malicieux que je n’allais pas le lâcher d’une semelle jusqu’à ce qu’il me parle, avant d’ajouter : Vous êtes un excellent dribbleur sur le terrain, essayez donc de dribbler mes questions dans ce bus ! Il a rigolé, c’était dans la poche ! L’interview pouvait donc commencer. Bien que très sympathique, Platini transpirait la fierté, ce qui n’était que justice au regard de sa stature de "star" de l’équipe. Sans aller jusqu’à parler de lui-même à la troisième personne, il n’hésitait pas néanmoins à bien te faire comprendre qu’il était le "boss".

 

R.M. : Il a bien le droit ! Rien qu’en 1984, Il a remporté le Championnat d’Italie, la Coupe des Coupes et la Supercoupe de l'UEFA avec la Juve ainsi que le Championnat d’Europe avec l'Equipe de France…
 

R.B. : Absolument ! Il fera aussi des étincelles en 1985. Je l’ai donc questionné sur son enfance, son parcours, ses victoires, le secret derrière son fameux coup franc « à la dynamite » qui a surpris les plus grands gardiens de la planète et bien évidemment, sur la demi-finale France-Allemagne lors de la Coupe du Monde de 1982…


R.M. : Parfaite transition pour l’interroger sur notre équipe nationale.


R.B. : Oui, notre victoire sur la RFA était devenue notre carte de visite en quelque sorte et il ne prenait absolument pas à la légère le match qu’il s’apprêtait à disputer. La pression était bien présente même pour une simple rencontre amicale. Il m’a aussi cité plusieurs joueurs algériens qu’il connaissait et admirait : Mustapha Dahleb évidemment, que Platini avait affronté en 8e de finale de la Coupe des Coupes mais aussi Belloumi et Madjer qui avaient brillé en Coupe du Monde.

 Hormis cela, il ne savait pas grand-chose du football local bien qu’il s’en construisait une représentation assez positive. A la fin, je pense que nous étions tous les deux satisfaits de cette interview.


R.M. : Est-ce que tu as eu le temps d’interroger d’autres joueurs ?


R.B. : Oui, j’ai pu discuter une petite dizaine de minutes avec le polonais Boniek alias Bello di notte comme le surnommait affectueusement le grand Giovanni Agnelli, ancien propriétaire de la Juventus et de Fiat. Fine moustache, l’œil très vif, notre conversation s’est déroulée en anglais dans le texte et les sujets abordés étaient divers et variés : L’évolution du football polonais qui s’est bien illustré lors des Coupes du Monde de 78 et 82, son parcours au sein de la Juventus, sa complicité sur et en dehors du terrain avec Platini, etc. C’était trop court pour être exhaustif, mais cela m’a permis d’entièrement satisfaire la requête d’El Moudjahid, qui consistait à réaliser mes deux interviews (Rires). Avant de te raconter la suite, je me permets d’ouvrir une petite parenthèse : La raison de notre rendez-vous devant cette école…


R.M. : Je me demandais quand tu allais y venir. Je suppose qu’un de tes enfants y a fait ses études…


R.B. : Bien vu, il s’agit de l’aîné, Riad, né en 1978. Quand il avait 7 ans, j’étais président de l’Association des parents d’élèves à l’école primaire du Mont-Riant. J’avais déployé beaucoup de moyens et d’énergie pour y installer de nouvelles habitudes et y promouvoir le sport. Dans un premier temps, j’avais doté tous les enseignants de survêtements pour qu’ils puissent accompagner leurs élèves lors des séances d’éducation physique et sportive. J’avais aussi un bon ami, Djaafar Belhadi, sans emploi à l’époque, à qui j’avais suggéré de créer une équipe de football au niveau de l’école, équipe dont il serait l’entraineur. Il s’acquitta de cette mission avec sérieux et dévouement. Grace à mes contacts au ministère de la Jeunesse et des Sports, tous les joueurs en herbe arboraient des tenues neuves lors des séances d’entrainement au stade Ouaguenouni. En quelques mois, Djaafar avait réussi à former une très belle équipe et les enfants étaient contents, ce qui est quand même le plus important. Il m’est aussi arrivé de solliciter mon ami Sadek Djemaoui du groupe El Bahara pour qu’il vienne à l’école chanter à l’occasion du 16 avril, la journée du savoir. Non seulement Sadek s’est déplacé gratuitement, alors qu’il était une véritable star à l’époque, mais il a aussi et surtout chanté Djibouha ya Loulad, l’hymne officiel de la Coupe du Monde de 82 avec tous les enfants. C’était un moment d’intense bonheur pour nous tous.
 

R.M. : El Bahara, c’était vraiment quelque chose pour ceux de ma génération avec des hits comme Choukrane Ya Oustadi (Merci professeur) et Nestenak Laachya (Je t’attends ce soir). Tu as offert à ces enfants des souvenirs pour la vie.


R.B. : Justement ! Pour marquer l’arrivée de la Juventus chez nous, j’émis la proposition d’organiser un match pour les jeunes en guise d’ouverture, idée à laquelle le directeur du 5-Juillet adhéra immédiatement. Le match devait opposer l’école primaire du Mont-Riant à l’équipe de jeunes affiliés au complexe sportif. Le 5 février 1985, il ne restait plus une seule place de libre au Stade du 5-Juillet. Les supporters trépignaient d’impatience à l’idée de voir les verts de Saâdane affronter les blancs et noirs de Trapattoni, ce qui ne les empêcha pas d’encourager comme il se doit les enfants pour le match d’ouverture. Ce dernier se déroula sans accroc et au terme d’une belle rencontre très disputée, les jeunes joueurs extenués se dirigèrent, sous les applaudissements, vers les vestiaires. Je les accompagnai lorsque nous tombâmes par hasard sur un Michel Platini hilare qui me lança : Ma parole, tu es partout ! (Rires). Le tutoiement lui était venu naturellement. Je lui expliquai qu’il s’agissait d’une équipe de jeunes dont j’étais le parrain avant d’ajouter que les garçons souhaitaient prendre une photo avec lui, ce qu’il accepta en grand seigneur. 
Il a serré toutes les mains, encouragé tous les petits, le genre de gestes qui te marquent un enfant à vie. Pour l’anecdote, il y a quelques temps, je marchais dans la rue lorsqu’un jeune homme me héla. Il me demanda si je me souvenais de lui, ce qui n’était malheureusement pas le cas. Il m’avoua, ému, qu’il faisait partie de l’équipe des jeunes qui a eu droit à un match au 5-juillet et à une photo souvenir avec Platini. Cette rencontre fortuite a illuminé le reste de ma journée.


R.M. : As-tu gardé cette fameuse photo ?


R.B. : Malheureusement non. La photo doit encore se trouver au niveau de l’école, du moins je l’espère. J’ai présidé cette association de parents d’élèves pendant trois ans avant de rendre mon tablier. Je me souviens que lors d’une assemblée générale pour établir le bilan des réalisations, un membre s’est levé pour m’intimer violemment l’ordre de m’exprimer en arabe classique… j’ai quitté l’association suite à ce malheureux incident et n’y ai plus jamais mis les pieds. La directrice de l’école était effondrée. Malheureusement, il m’était impossible de collaborer avec ce genre d’individus.


R.M. : Dans le film L’Oranais, de Lyes Salem, il y’a une superbe scène avec une scie mécanique qui illustre à merveille ce que tu as vécu avec ce triste monsieur. 
Revenons plutôt à l’Algérie qui joue contre la Juventus. En 2013, Lakhdar Belloumi a déclaré en interview que c’était l’un des meilleurs matchs de sa carrière.


R.B. : Même s’il n’a pas marqué, Belloumi avait des ailes aux talons durant ce match : Lecture de jeu impeccable, passes millimétrées, élégance du dribble, c’était un pur plaisir de le voir évoluer sur le terrain. L’Algérie a fait un très grand match grâce à Menad, Yahi et à un superbe but de Meghichi qui assura la victoire des fennecs sur un score de trois à deux. Rétrospectivement, nos joueurs ont gagné contre la Squadra Azura car, hormis Platini et Boniek, il s’agissait pratiquement de l’équipe nationale italienne.

R.M. : Parle-moi de ta deuxième interview de Michel Platini.


R.B. : Notre seconde rencontre a eu lieu à Dakar, lors de la Coupe d’Afrique des Nations de 1992, dans un sympathique hôtel en bord de mer réservé aux journalistes. Il y avait presque toute l’équipe de TF1 de la grande époque : Thierry Roland, Jean-Michel Larqué et Marianne Mako, la première journaliste femme à parler de football sur une télévision française. Ce qui est intéressant, c’est que cela coïncidait avec le début des antennes paraboliques en Algérie qui champignonnaient un peu partout. C’était donc des visages et des voix qui commençaient à être bien connus de nos concitoyens.


R.B. : Marianne Mako était une courageuse pionnière qui a dû faire face toute sa vie à la misogynie de notre profession. Peu avant la Coupe du Monde de 1998, elle a même été licenciée par un de ses responsables qui aurait déclaré : Je ne veux pas de femmes pour commenter le football !


R.B. : Je te parlerai une autre fois des difficultés rencontrées par nos consœurs sur le terrain, je leur tire vraiment mon chapeau ! Avec l’équipe de Téléfoot, nous nous retrouvions souvent à la réception de l’hôtel pour débriefer et nous détendre. Un soir, tu l’auras deviné, Michel Hidalgo et Michel Platini, alors sélectionneur de l’Equipe de France, se sont joints à nous. Il ne s’est évidemment pas souvenu de moi, mais à la simple évocation de son match avec l’Algérie, la mémoire lui est rapidement revenue. Nous avons donc longuement échangé durant cette CAN remportée par la Cote d’Ivoire, notamment pendant les longs déplacements. Pour l’anecdote, nous devions une fois nous rendre au Stade Aline-Sitoe-Diatta de la ville de Ziguinchor où jouait l’Algérie, à presque 300 kms de la capitale. La Confédération Africaine de Football avait mis à notre disposition un avion qui datait de la 2e Guerre mondiale, une espèce de coucou rafistolé tout droit sorti d’un film d’Indiana Jones qui couinait et grinçait à la moindre petite secousse.

A l’aller, nous nous étions bagarrés pour monter à bord, l’avion ne disposant que de 20 sièges…mais au retour, nous n’étions que 5 ou 6 à y prendre place. La plupart des confrères ayant préféré les 8 heures de route à ce vol on ne peut plus périlleux (Rires).


R.M. : Ironie du sort, le grand attaquant que fut Michel Platini s’est retrouvé obligé de se défendre contre des accusations de gestion déloyale, de corruption et d’escroquerie. En plus de l’attribution "polémique" de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, il y’a l’histoire du versement de 1,9 millions d’euros que Sepp Blatter, alors président de la FIFA, aurait effectué en faveur de Michel Platini, qui a dirigé l’UEFA de 2007 à 2015. Il a été acquitté il y’a quelques mois par la justice suisse mais un appel est toujours possible.
 

R.B. : Je pense que la véritable cible dans toute cette histoire était Blatter, Platini n’est ni plus ni moins qu’un dommage collatéral. Depuis que le football est devenu le réceptacle de sommes colossales, il a été complètement perverti et vidé de sa substance. C’est désormais un milieu cynique et sordide où se mêlent droits de diffusion, merchandising et publicités. Plus il y a d’argent qui circule, plus les tentations sont grandes, l’humain est ainsi fait.

Je reste persuadé que l’affaire du Fifagate, qui a éclaté au grand jour en 2015 avec l’arrestation spectaculaire des sept dirigeants du foot mondial à Zurich, n’est que l’arbre qui cache la forêt.


R.M. : Pour conclure, si tu ne devais garder qu’une seule image de son parcours, quelle serait-elle ?


R.B. : Son jubilé qui a eu lieu le 23 mai 1988 au stade Marcel-Picot de Nancy devant 35.000 spectateurs. Les plus grands joueurs de la planète s’y étaient donné rendez-vous pour témoigner leur respect à Platoche. Pour ce match exceptionnel « Equipe de France 1984 - Reste du monde », il y avait : le Roi Pelé en tenue des grands jours, Diego Maradona floqué d’un No Drug ironique, Jean-Pierre Papin, Ruud Gullit, Zbigniew Boniek, Lothar Matthaüs, Zico, et un certain… Rabah Madjer.




 

Redouane Bendali et Rabah Madjer, archives personnelles.







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