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Les Imposteurs d’Alain Bouzy

Publié le  Par Pascal Hébert

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Alain Bouzy est un journaliste habité par une âme de romancier. Il est difficile d’être à la fois l’un et l’autre. Mais dans les Imposteurs, son dernier roman, Alain Bouzy concilie avec habileté les deux qualités. Le romancier se nourrit du journaliste pour vérifier les informations distillées dans cette chronique surprenante pour ne pas écrire incroyable.

Féru d’histoire, Alain Bouzy nous envoie par la magie de sa plume au début du 19e siècle en Eure-et-Loir et plus précisément à Gallardon, devenu l’équivalent de la grotte de Fatima avec un drôle de paroissien, visité non pas la vierge, mais par un archange. Paysan tranquille, Thomas Martin est un beauceron essayant de survivre en ces temps troublés. En ces temps où la France est politiquement affaiblie, où la France profonde ne sait plus où elle habite réellement entre l’ancien Régime, la Révolution française, l’Empire, la Restauration.

Pour le peuple d’en bas, pourtant rien ne change. Malgré les régimes politiques qui passent et trépassent au gré de la folie des hommes, les paysans tentent toujours de cultiver leur terre pour nourrir leur famille. C’est le cas de Thomas Martin, paysan et bon croyant à Gallardon. Sa vie bascule lorsqu’il reçoit la visite de l’archange Raphaël. Tout comme Jeanne d’Arc, le voici investi d’une mission divine : informer en personne le roi Louis XVIII qu’une menace pèse sur son règne. Après plusieurs visites de cet être étrange, Thomas Martin devient le héraut d’un scénario improbable. Les intrigues, mélangeant politique et religieux, se multiplient au fur et à mesure que les interlocuteurs de cette âme simple estiment pouvoir tirer profit de ce messager uniquement animé par le désir de rencontrer le roi. Et cela va du curé de la paroisse de Gallardon en passant par l’évêque jusqu’au Ministre de la police, proche du monarque. Ausculté par un médecin, il se voit interné. La vie du pauvre Martin aurait pu s’achever dans un hôpital, mais il parvient malgré les obstacles à rencontrer le bon roi pour lui délivrer son message divin. Le dialogue entre les deux hommes ne manque pas sel. L’histoire aurait pu aussi s’arrêter là. Mais Thomas Martin continue d’être manipulé par ceux qui l’entourent. Et lui-même se prend au jeu divinatoire. Désormais, il voit en Karl-Wilhelm Naundorff, Louis XVII le dauphin de Louis XVI, mort dans la prison du Temple et qui aurait échappé à ses gardiens. Cette fable paraît crédible aux yeux de ceux qui veulent bien y croire. De retour dans son village, Thomas Martin finit sa vie en recevant toutes sortes de personnages venus visiter le prophète de Gallardon. Sa mort suspecte en 1834 a suscité également quelques grands moments, dont une autopsie publique que n’ont pas manquée les villageois. In fine, à qui profite le crime ? Sans enquête, toute hypothèse est hasardeuse. Alors Alain Bouzy prévient : « Ce roman vrai revisite une évidence : il est dangereux de s’approcher du pouvoir, aveugle et sans pitié par essence. De la cour d’Assuérus, où l’on risque sa vie si l’on n’est pas invité, aux Cours de Louis XVIII et Charles X où s’affairaient manipulateurs et intrigants au profit d’une cause politique ou religieuse, Thomas Martin a été un pèlerin candide broyé par la confusion et les contradictions de son époque ».

Cette histoire que nous conte l’auteur avec la précision d’un horloger a déjà deux siècles ! Mais elle parle singulièrement à notre époque qui ne manque pas d’imposteurs et d’usurpateurs patentés. Et la grande Histoire de son côté a tendance à balbutier. C’est bien ce que nous démontre avec une malice non feinte Alain Bouzy avec ce « Pauvre Martin, pauvre misère, Creuse la terre, creuse le temps, Pour gagner le pain de sa vie, De l'aurore jusqu'au couchant. De l'aurore jusqu'au couchant, Il s'en allait bêcher la terre, En tous les lieux, par tous les temps » comme le dit Georges Brassens.

Pascal Hébert

Les Imposteurs d’Alain Bouzy. Editions De Borée. 378 pages. 19,90 €.