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Une histoire de France, de Joffrine Donnadieu

Publié le  Par Pascal Hébert

Crédit image © dr


Il y a des auteurs qui vous transportent dans leur monde par la magie de leur style. Et puis il y a les autres, peu nombreux, qui apportent un supplément d’âme à leur roman. C’est le cas de Joffrine Donnadieu. Révélation confirmée avec son deuxième livre Chienne et Louve. Récompensée par le Prix de Flore cet automne, cette jeune romancière tutoie les plus grands. Déjà, avec son premier roman Une histoire de France, Joffrine Donnadieu avait montré la puissance de son style en abordant un sujet complexe et dérangeant.

Aborder le viol d’une enfant n’est jamais simple en littérature surtout lorsque c’est une femme qui jette son dévolu sur une fillette de neuf ans. Avec l’énergie de sa plume, Joffrine Donnadieu nous embarque directement au cœur du sujet. Les premières lignes sont un véritable uppercut. Sans fioritures, la romancière nous fait suivre de l’intérieur Romy qui décrit ses sensations devant l’innommable.


Rien n’est simple dans la vie de l’héroïne. Sa maman, souffrante, doit se rendre régulièrement à l’hôpital. Son père, alcoolique, militaire, part souvent en Opex. Alors, Romy est gardée par France, la femme d’un collègue de l’armée. France s’amourache de la fillette. Sextoy vivant, elle découvre une sexualité brutale.


Révélant pièce par pièce le mécanisme de l’emprise, Joffrine Donnadieu ne laisse rien au hasard. Les années passent, la voisine s’efface. Malgré l’éloignement de celle-ci, la descente aux enfers se poursuit. L’adolescente retourne contre elle ce mal qui la ronge et rompt la communication avec ses parents. Romy perd pied avant d’être internée dans un hôpital psychiatrique. Dans ce nouveau cadre, elle étudie les comportements des uns et des autres. Un monde à part. Traumatisée, elle sombre, squatte chez des connaissances et se prostitue.

Avec talent, Joffrine Donnadieu décrit ce que vivent les victimes d’abus sexuels. Difficile de n’être pas révolté par cette innocence broyée !


Pascal Hébert


"Une histoire de France", de Joffrine Donnadieu. Éditions Folio. 313 pages.
 


Interview

Trois questions à Joffrine Donnadieu : « Je veux montrer, faire comprendre et aimer un personnage et son univers, en y mettant toute ma sincérité. »

 

Le viol chez les enfants avec une femme comme bourreau n’est pas souvent évoqué dans la littérature. Comment vous est venue l’idée de ce roman ?


J’ai longtemps animé des ateliers d’expression dans les hôpitaux pédiatriques et psychiatriques. J’entendais des histoires sordides, atroces, où le bourreau était une femme. Sans doute que le sujet ne défraye pas souvent la chronique mais il n’est pas inconnu pour autant. Des femmes, des voisines, des mères, peuvent, elles aussi, abuser d’enfants.

On a une tendance à croire que les déviances, et particulièrement les déviances sexuelles, sont limitées aux hommes. Rien n’est plus faux. Il faut sortir de cet imaginaire binaire où le bourreau est continuellement un homme fort et violent et la victime une petite fille faible et apeurée. On ne peut pas s’arrêter sur une simple caricature.

Oui, des femmes peuvent commettre des actes pédophiles, mais, dans "Une Histoire de France", je ne parle pas que de cela. Mon thème principal découle d’un abus mais touche surtout à la transformation du corps d’une petite fille jusqu’à son âge adulte. La transformation du corps de la femme est tout sauf simple, elle s’accompagne de doutes, de répulsions, voire de détestations.


Je peux parler d’expérience de tout cela, mais peu importe que certains éléments du roman aient de près ou de loin un caractère autobiographique. Je ne raconte pas ma vie, je veux montrer, faire comprendre et aimer un personnage et son univers, en y mettant toute ma sincérité.


Dans le cas de maltraitance des enfants, il est conseillé à ceux qui en ont connaissance de témoigner pour arrêter cet enfer. Pour Romy, qui aurait pu la sortir de ce cercle infernal ?


Personne. Ou tout le monde. Le problème est de regarder. Ou, plus exactement, de vouloir regarder. Au risque de ne pas apprécier ce que l’on découvre et de faire exploser un système dysfonctionnel, bancal, mais présent. Dénoncer n’est déjà pas facile mais reconstruire est encore plus compliqué. Les cas d’inceste et de viols d’enfants continuent de révolter la société. Leur nombre ne cesse de croître.


Quelle solution voyez-vous pour mettre un terme à ce crime ? Leur nombre ne cesse de croître ? Vraiment ? Ou est-ce que l’on en parle davantage ?


Pendant longtemps, une forme de décence conventionnelle a été de mise, particulièrement lorsqu’il s’agissait d’évoquer la vie intime. Ce qui se passait dans une famille restait dans la famille. Les secrets étaient transmis, de génération en génération, par des murmures, des allusions mais jamais clairement ou explicitement.


Aujourd’hui, la frontière entre le moi et l’autre se brise. Parce que les mentalités ont changé, parce que la communication est de plus en plus présente, parce que l’accès à l’information est continuel… Les raisons sont nombreuses. La parole est plus libre et, sans même évoquer le mouvement Metoo, ce qui, autrefois, était supporté en silence, n’est aujourd’hui plus toléré. Je crois que face à ce fléau, il existe plusieurs éléments de réponse. D’abord l’intégrité d’un enfant, fut-elle physique, émotionnelle ou mentale, ne doit jamais être relativisée.


L’une des clefs de l’éducation passe par l’apprentissage des limites entre le corps de l’enfant, son territoire, et le monde extérieur. Quand on permet à un enfant de rester seul devant un écran, on l’abandonne face à des contenus dont on ne maîtrise pas la portée mais, surtout, on joue avec l’imaginaire de l’enfant, son rapport à lui-même, aux autres et au monde. Les images violentes ou sexuellement explicites peuvent banaliser toutes les formes de sexualité, conduire à considérer comme normal quelque chose de choquant. Établir des limites, c’est d’abord prendre conscience qu’un enfant de 6 ans ne peut pas et ne doit pas voir un film interdit aux moins de 12 ans, et en assumer l’interdiction.


Ensuite, il y a la question de la communication. Il ne faut jamais oublier qu’un enfant est comme un morceau de pâte à modeler. Il est adaptable et il peut supporter beaucoup de choses. Face à la violence, le mutisme est trop souvent le seul recours dont il dispose. Parler avec un enfant, le pousser quotidiennement à s’exprimer, c’est le meilleur moyen de repérer s’il y a un problème. Favoriser la parole, c’est favoriser la construction de la pensée, la structuration des idées, le goût de la nuance et du vocabulaire. Une difficulté, lorsqu’il s’agit de parler avec un enfant victime de maltraitance, consiste à repérer ce qui est factuel et ce qui est interprété.


Y a-t-il des solutions miracles ?


Non. Mais il y a des outils de prévention. Des moyens pédagogiques.


Recueilli par P.H.