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Géographie de la peur, de Claire Castillon

Publié le  Par Pascal Hébert

Crédit image © J.F. Paga


Dire que Claire Castillon a du talent, c’est peu dire ! Avec son dernier roman, " Géographie de la peur", la romancière nous invite à un voyage intérieur de très haut niveau. Comme toujours, lorsqu’elle s’empare d’un sujet sensible, Claire Castillon trouve l’équilibre qui permet d’atteindre la cime de la perfection littéraire. La performance est d’autant plus belle que la romancière a pris sa lampe torche pour nous guider dans les méandres des troubles anxieux.

Que sait-on de ce que vivent les personnes atteintes de problèmes psychologiques ? Rien. On constate de l’extérieur. On mesure au mieux le degré de souffrance. On ne peut, et le plus souvent, nous n’avons pas envie de nous mettre à la place de l’autre. Claire Castillon possède cette sensibilité pour nous faire appréhender de l’intérieur les douleurs ressenties par ces femmes et ces hommes emmurés dans leur mal-être.


Avec son dernier roman époustouflant de vérité et d’humour, Claire Castillon nous emmène au cœur du sujet, au cœur de la géographie de la peur : « J’habite une cage invisible dont j’ai moi-même dessiné les contours afin de me protéger de mon cerveau. Il ne fait pas la différence entre le réel et l’imaginaire, alors la moindre émotion le retourne contre moi », explique Maureen, 19 ans, atteinte d’un TAG (trouble anxieux généralisé).


Son cerveau fabrique du danger. Lorsqu’elle sort, Maureen est envahie d’un stress paralysant. Ses relations sociales deviennent de plus en plus compliquées. Entre ceux qui comprennent, ceux qui se lassent et ceux qui ont jeté l’éponge depuis longtemps, la jeune femme tente de sortir la tête hors de l’eau. Mais que c’est difficile et énergivore ! Ses parents et son frère, malgré de nombreux efforts, ne savent plus comment répondre à cette douleur qui touche toute la famille.


Avec un sens extrême de la réalité, Claire Castillon sait trouver les mots justes pour expliquer les symptômes que vit Maureen : « Cette impression de quitter le monde, de m’évanouir sans jamais arriver au bout de l’évanouissement. » Mais c’est aussi ce « vertige insupportable, un vertige à l’intérieur de moi et des sons qui parvenaient décalés des bouches, à la fois tamisés et plus forts » que l’on retient.
 

Handicapée de la vie, Maureen s’accroche au bras et aux regards de proches ou d’inconnus qu’elle tente de capter lorsque son "truc" - comme elle l’appelle - se manifeste. Malgré l’aide de ceux qui l’aiment, Maureen a bien du mal à trouver la sortie d’un labyrinthe dans lequel elle se perd chaque jour, chaque heure et chaque minute : « Depuis que je suis agoraphobe, les maisons ont des visages, les immeubles des handicaps. Je trouve tout bizarre, les décors sur les vitrines, le panneaux, les signes sur les panneaux... » Doucement et avec l’assistance de proches et de son psy, Maureen parvient non pas à guérir mais à trouver des solutions pour rester en contact avec le réel. Un réel qui passe par les mots et ce besoin d’écrire devenu vital. Un temps viendra où les chiens auront besoin de leur queue et les hommes de Claire Castillon, romancière inébranlable ; et ceux qui la dédaignent aujourd’hui lui tresseront les lauriers qu’elle mérite !


Pascal Hébert

 

Géographie de la peur de Claire Castillon. Éditions Gallimard (collection Scripto). 16 pages. 10, 50 €.

 

Quatre questions à Claire Castillon


Peut-on dire que Maureen, c’est un peu toi ?
 

C’est compliqué les personnages. Ils arrivent, et bien sûr qu’il y a quelque chose de proche mais un peu comme dans la vie, les proches ne sont pas les plus familiers finalement. On peut sans doute dire que j’ai très bien connu les troubles dont elle souffre. Je vois aussi précisément ce qui se passe dans sa tête et je pense que si je l’ai aidée à écrire ce roman, elle m’a peut-être aidée à me comprendre.


Est-ce ton roman le plus intime ?


C’est en tout cas celui que je n’ai pas voulu écrire pendant très longtemps. J’ai mis trente ans à reparler de ces crises. L’écriture me rapproche parfois de ce que j’écris et je n’avais vraiment pas envie de jouer avec le feu et d’approcher de trop près cet état de flou, d’absurde, d’irréel. Je déteste ça. Alors il m’a fallu le temps de me dire “Allez, s’il revient me narguer, tant mieux, j’ai besoin de lui”.

 

Quel est ton rapport à l’espace et au temps ?


C’est drôle comme question. Je n’aime pas trop penser à la place que j’occupe dans l’univers par exemple parce que là je frôle la crise de panique. Quant au temps, ne pas pouvoir le retourner ne me dérange pas, mais je voudrais juste avoir un bouton pause pour les fois où c’est vraiment bien, la vie je veux dire, bien ou puissant, unique, en tout cas hors sol.


Quelle importance ont les mots pour toi ?


Je suis sortie de l’agoraphobie grâce à eux, j’ai souffert d’avoir trop peu su les utiliser. Maintenant, je passe ma vie à les chercher, toujours pas pour dire d’ailleurs, -hélas peut-être aussi- mais pour écrire !


Propos recueillis par P.H.