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La nuit au cœur, de Nathacha Appanah

Publié le  Par Pascal Hébert

Crédit image © Francesca Mantonvani


La nuit au cœur de Nathacha Appanah sonne comme un cri d’alarme. Lorsque l’on entend parler des femmes victimes de féminicide, pour beaucoup cela reste des paroles. A chaque fois qu’une femme subit des violences allant jusqu’à son assassinat par son petit ami ou son conjoint, on en discute, on s’indigne puis on passe à autre chose. Sauf Nathacha Appanah qui nous plonge dans la détresse de trois femmes, toutes victimes d’un homme dominant. Celle qui a pu échapper à la mort à l’âge de 25 ans a voulu regarder en face le mécanisme aboutissant au féminicide.

Le point commun de ces victimes : elles courent toutes seules. Elles courent devant un train infernal désirant les happer. Entremêlant les vies de ces trois femmes dans un récit riche et intense, Nathacha Appanah nous emmène au cœur de l’emprise. 

 

Nathacha

 

La première victime, c’est la narratrice. Elle n’a que 17 ans lorsqu’elle rencontre HC. Journaliste, poète, cet homme, qui pourrait être largement son père, l’attire dans ses filets. Des échanges épistolaires permettent à HC d’étendre sa toile en l’introduisant dans le sein des seins, celui de la création. Admirative et sans doute flattée qu’un homme aussi important s’intéresse à sa prose et à sa personne, la jeune femme finit par succomber et tomber sous son emprise. Le début d’une relation s’installe avec tout ce qu’il y a de plus toxique. En rejoignant l’intimité de HC, cette femme sans expérience se laisse malmener, brutaliser et se soumet à tous ses désirs. Est-ce la normalité ? Elle coupe les liens avec sa famille, ses amis. Heureusement, son travail lui permet de ne pas perdre complètement pied. Après avoir couru pour échapper à son bourreau, elle regagne la maison de ses parents, cabossée, traumatisée. Mais ce n’est pas le cas de toutes celles désireuses de reprendre leur liberté. Difficile, voire même impossible pour tous ces hommes, prenant les femmes comme de simples objets, de les voir quitter leur force d’attraction.

 

Emma


C’est le cas d’Emma, sur l’île Maurice. Mariée à RD, chauffeur dans un ministère, elle devient une épouse modèle. Avec son mari ayant trouvé sa place dans la société et leurs trois enfants, elle aurait dû mener une existence sans problème. Mais la folie d’un homme en a décidé autrement. Une mise en scène macabre est élaborée par RD voulant faire croire à une mort par un chauffard alors que sa femme faisait son jogging. Rien ne tient dans cette version des faits. Emma meurt trois fois : la première, à la manière d’un faits divers ; la deuxième, personne ne la défend et la troisième fois, c’est le jour de son enterrement avec la présence de son meurtrier. Nathacha Appanah, qui a réalisé un vrai travail d’enquêtrice, met en lumière plusieurs faisceaux d’indices concordant indiquant que tout n’a pas été exploité, dans cette triste affaire, par une justice ne s’intéressant guère à la vie d’Emma.
 

Chahinez 

 

La troisième victime s’appelle Chahinez Daoud. Femme libre, bien dans son époque, elle se marie, fait deux enfants et n’hésite pas à divorcer. Une histoire banale par les temps qui courent, peut-être un peu moins dans son Algérie natale. C’est avec MB qu’elle convole en seconde noce. Ce mariage lui permet de venir en France mais sans son fils, resté en Algérie. Parlant difficilement le français, Chahinez parvient à se faire apprécier de ses voisines dans une résidence pavillonnaire de Mérignac. Battue, elle vivra un véritable enfer avec MB lui reprochant de s’habiller avec des vêtements trop moulants, d’avoir des amants. Malgré ses pleurs, des mains courantes au commissariat, la vie de Chahinez n’est qu’une descente aux enfers ne laissant entrevoir aucune porte de sortie. Tous les éléments sont contre elle. Son mari devenu fou la poursuit dans la rue. Il la met à sa merci en lui tirant deux balles dans les jambes avant de l’immoler par le feu. 
 

 

Les destins de ces trois femmes, ne demandant qu’à vivre heureuses, sont étroitement liés à la mort toujours en embuscade derrière chacune d‘elle, comme une ombre, toujours prête à s’abattre à la moindre occasion. Est-ce bien de l’amour, l’amour du haïssable ?

Pascal Hébert
 

La nuit au cœur de Nathacha Appanah. Éditions Gallimard. 284 pages. 21 €