Haute-Folie, d’Antoine Wauters
Publié le Par Pascal Hébert
Peut-on vivre, voire survivre, sans connaître ses racines ? Telle est la question posée dans l’excellent roman "Haute-Folie", d’Antoine Wauters. Et lorsque le drame se mêle à la destinée, cela devient la vie de Joseph. Enfant perdu dans un monde sans les repères d’une mère et d’un père morts tragiquement, Joseph grandit dans le sillage d’un oncle et d’une tante propriétaires d’une ferme.
Léo et Anna n’ont jamais évoqué avec lui la mort de ses parents. Le gamin grandit tout seul, avec, niché dans son cerveau une ombre angoissante. Il sait, il sent que quelque chose cloche. Le non-dit est pesant et le pousse à travailler dur. Ses capacités physiques l’autorisent à accomplir les tâches les plus rudes dans les champs.
Voici l’été. Quinze ans. L’adolescence fière avec le regard qui se pose sur la jeune Fermine. Sa cousine. Ces deux là se cherchent. Mais c’est la guerre avec son lot d’horreurs. Joseph doit se cacher pour éviter le STO. La guerre finie, les « démons » anéantis, Joseph ne profite pas de la joie de la Libération. Il doit retrouver les chemins, la campagne, toujours marcher être en mouvement. Le garçon vit encore. Lentement. Ses bras bougent. Il atteint de ses doigts le bas de son visage marqué d’une croix. Joseph contemple, hagard, le sens de la vie lorsque l’on a échappé à la mort. Il comprend qu’il doit partir sans aucune explication. Il ne veut plus voir la ferme : « Il voudrait disparaître sans laisser de traces, s’effacer pour lui et les autres – tant pis s’il ne voit plus les visages qu’il aime. On peut aimer dans la distance. La lâcheté, c’est faire ce que les autres attendent de nous et nous en tenir à ça. (#) Le courage, à l’inverse, c’est d’aller dans le dur de soi. Dans sa peine et joie. Entendre ce qu’il y a en nous et le suivre quel qu’en soit le prix. » écrit Antoine Wauters.
Joseph tente de trouver son chemin dans cette vie. Il part au séminaire pour suivre des études afin de devenir instituteur. « Travailler dehors, note-t-il, c’est laisser au désespoir le moins de prise possible. Laisser au désespoir le moins de prise possible, voilà ma vie. » Il semble vouloir rejoindre le troupeau. Il renoue avec Fermine. Mais ce qui le hante le pousse à larguer une fois de plus les amarres et s’enfuir au sein de la nature. Dans ces va-et-vient incessants, Joseph retrouve Anna. Elle lui parle de la malédiction qui l’encombre. Cette malédiction ayant entraîné la mort de ses parents lui éclate en plein visage. Et soudain, il comprend le poids de sa cervelle ébréchée. Avant de partir définitivement sans se retourner, il reproduit ce qu’il a vécu en faisant un enfant à Juliette qu’il abandonnera. Dans sa lettre à Anna, il s’explique : « On fait tous ce qu’on peut. J’ignore où est ma vie, mais je la cherche crois-moi. Je me tue à la chercher. » Son fils Gaspard arrivera-t-il à mettre un terme à la malédiction ?
Difficile de ne pas refermer ce roman magnifique sans retenir la portée universelle de la souffrance jaillissant des non-dits. Avec une écriture magique, Antoine Wauters transforme un sujet majeur en question sur l’identité et la mémoire. Un roman bouleversant et d’une rare force !
Pascal Hébert
Haute-Folie d’Antoine Wauters. Éditions Gallimard. 163 pages. 19 €