Qui a tué Virginie ? de Julien Mucchielli
Publié le Par Pascal Hébert
Comment connaître l’état de notre société ? En fréquentant les tribunaux. Le tribunal, c’est l’endroit ultime de la descente aux enfers, le point de non retour. On y juge et condamne ceux qui sont allés au-delà de ce que la société tolère. Il n’y a pas meilleur observatoire que les Assises où le comportement humain est au cœur des débats.
Pour beaucoup d’entre nous, le fonctionnement de la justice est obscur. Afin de mieux nous faire comprendre ce qui se passe dans les entrailles de la justice, Julien Mucchielli dans son ouvrage Qui a tué Virginie ? a pris l’exemple d’une affaire sordide de viols, d’incestes, de violence, de manipulations et qui se termine par un féminicide. Avec ce dossier extraordinaire, le journaliste met en relief les limites des services judiciaires, de police et de gendarmerie privés de moyens humains mais pas que. Devant des individus pervers, intelligents, bien perçus par leur entourage et imposant leur volonté de fer à leurs victimes soumises, la justice ne semble pas avoir toutes les clés pour réellement les cerner et stopper les dégâts. L’affaire Mannechez en est le meilleur exemple. C’est le patriarcat à son comble. Rien de plus. Une affaire scandaleuse à tous les étages, dont la société ne sort pas grandie.
Denis Mannechez, un homme qui s’est fait tout seul mène bien sa carrière professionnelle. A la maison, ce n’est plus le même. Père de deux filles et deux garçons, il montre un autre visage. Celui d’un psychopathe. Contrôlant tout son petit monde au doigt et à la baguette, Denis Mannechez veut également imposer sa puissance et son emprise sur ses fillettes en les violant dès leur plus jeune âge. La cadette subit des avortements dès ses 13 ans. Quant à l’aînée, elle est la favorite. Elle finit par se mettre en couple avec son père en lui faisant un enfant. Les garçons sont traités comme des bêtes de somme et boucs émissaires. Les corrections pleuvent sans raison. Dans cette famille dysfonctionnelle, la terreur est de mise avec une mère qui s’efface, se tait et devient complice. La frontière de ce qui est admis et toléré a volé en éclat. La normalité et la morale sont fracassées sur le mur des désirs à assouvir d’un homme dans sa toute puissance. Et malheur à celui qui dira la vérité à l’extérieur de la maison. Cette tragédie se terminera dans un bain de sang puisque le père finira par tuer Virginie sa fille/compagne, qui a décidé de le quitter.
A l’aide des témoignages des enfants, des avocats et des juges, Julien Mucchielli reconstitue tous les faits de la procédure judiciaire qui ont amené à l’assassinat de Virginie. Il met en évidence les propos de Betty et de ses frères revenant sur leurs déclarations accusatoires… mettant ainsi la justice dans une situation inconfortable. Il ne manquait plus que des ténors du barreau pour appuyer la thèse surréaliste permettant à un père, qui a violé sa fille, de vivre en couple avec elle comme si de rien n’était.
Dans cette triste affaire, difficile de se sentir à l’extérieur tant elle révèle, à travers ce livre, toutes nos lâchetés, l’autorité implacable du père, et nos silences coupables. Julien Mucchielli a raison de poser la question : qui a tué Virginie ? Tout comme dans la chanson de Bob Dylan, Qui a tué Davy Moore ? Qui est responsable et pourquoi est-il mort ? Il est important de comprendre et de ne pas détourner le regard sur les responsabilités des enquêteurs, de la justice, des services sociaux, de ceux qui savaient et qui se sont tus. En conclusion des Assises condamnant Denis Mannechez à la réclusion criminelle à perpétuité, Julien Mucchielli dit : « Denis Mannechez, c’est nous. » Car il est vrai, comme l’exprime son défenseur : « Il n’est pas arrivé au monde avec un destin de père incestueux, il n’est pas arrivé sur terre avec un destin monstrueux à accomplir. » Mais s'il y a bien un coupable dans cette affaire, nous sommes tous collectivement condamnés !
Pascal Hébert
Qui a tué Virginie ? de Julien Mucchielli. Éditions Globe. 286 pages. 21 €.