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La marchande d’oublies, de Pierre Jourde

Publié le  Par Pascal Hébert

Crédit image © Francesca Mantonvani


Pierre Jourde aime se plonger dans l’univers des monstres de foire et de cirque du XIXe siècle. Il s’approprie une ambiance en noir et blanc suggérée par tant de poèmes de cette seconde moitié d’un siècle marqué par le romantisme. Dans ce petit monde du cirque voyageant dans toute l’Europe pour y présenter des tours spectaculaires, nous faisons la connaissance de la famille Helquin. De drôles de clowns avec des numéros applaudis par des spectateurs enthousiastes aussi bien en France qu’en Angleterre où ils font un véritable tabac. Avec "La marchande d’oublies", Pierre Jourde va bien plus loin que la présentation des monstres et artistes de cirque.

Le romancier nous entraîne dans une spirale d’histoires, alimentées par Thalia et Alaister, la petite sœur et le frère original de la famille Helquin. Brillants et hors normes, ces deux-là sont stoppés net dans leur carrière à l’issue d’un accident condamnant à une amnésie de neuf ans la petite Thalia. De son côté, Alaister dit Punch, fréquente les asiles. Débordant d’agressivité, Alaister est proche de sa petite sœur. Il partira à sa recherche après s’être enfui d’un hôpital psychiatrique.
 

Deux personnages ont décidé de fuir le monde pour se réfugier dans un univers chimérique. Charles, médecin aliéniste, tombe sous le charme de Thalia. Ils s’installent à Saint-Genest dans une demeure au passé étrange. Menant une vie bourgeoise d’opérette, Charles et Thalia s’amusent à faire travailler l’imaginaire des habitants par leurs actions ne répondant pas aux codes de la bonne société de la commune. Le couple bien complice s’amuse à provoquer tout en sachant qu’il demeure inattaquable. Mais au fil de la lecture, on découvre plus en profondeur les personnages que Pierre Jourde met sous la lumière des projecteurs.

 

Amour, désir…


Dans ce roman, l’auteur parle beaucoup d’amour, de désir dans une époque où le romantisme fait office de hochet pour une élite. C’est Charles qui en parle le mieux à Thalia : « Ce n’est pas le corps qui est désirable seul, c’est ta conscience dans ton corps. C’est pour cela, mon amour, que le sexe est imaginaire, contrairement à ce qu’ils croient tous. Le désir du mâle et de la femelle, c’est bon pour les animaux. Nous cherchons l’esprit dans le corps. Nous croyons, en faisant l’amour, accomplir réellement l’acte sexuel. En fait, nous le cherchons, nous ne cessons de le vouloir, de le construire, parce que nous manquons de corps, ou nous manquons d’esprit. »

Après avoir perdu la raison, Alaister réapparaît et livre à qui veut bien l’entendre son histoire. Qu’elle soit vraie ou fausse, qu’importe. L’imagination est bien au pouvoir dans ce livre de belle facture qui claque comme “L’amour monstre” de Louis Pauwels. Le mot de la fin revient à Alaister : « Et Dieu sait que ce n’est pas rien, dans les numéros de cirque : toujours plus spectaculaire, plus dangereux, plus acrobatique, comme s’il fallait se contorsionner pour accéder à l’être. » 

Pascal Hébert
"La marchande d’oublies", de Pierre Jourde. Éditions Gallimard. 650 pages. 25 € 

 

NDLR : Les « oublies » nous viennent tout droit du Moyen Âge. Il s'agit de gaufrettes confectionnées à partir d'une pâte à hostie non consommée.