Accueil |  Qui sommes-nous |  Contact


Présidentielle : la raison par-delà l'émotion

Publié le  Par Patrick Béguier

Crédit image ©


L'attaque terroriste, hier soir, sur les Champs-Elysées, à Paris, vient bousculer une campagne présidentielle qui, déjà, était soumise à de fortes turbulences. Le sang-froid est plus que jamais nécessaire. Il est presque devenu un devoir civique !

    On voit tout de suite à qui, selon la formule consacrée, profite le crime : aux forcenés du sécuritaire à tout prix et, d'abord, à Marine Le Pen. Il n'est pas interdit de dire que Daech, avec cet acte terroriste sur la plus belle avenue du monde, s'est fait l'allié objectif du FN ! Avec, dans le viseur, la guerre civile dans l'Occident honni. La présidente du Front national, qui enregistre une légère baisse dans les sondages, va sortir, juste avant la ligne d'arrivée du premier tour, tout son attirail populiste : fermeture des frontières, expulsion des fichés S étrangers, moratoire sur l'immigration légale, déchéance de nationalité, etc. On peut faire du juridisme quand on est soi-même mis en examen… Elle aura beau jeu de dénoncer un gouvernement "ahuri" et "tétanisé" qui a eu - faut-il avouer - la mauvaise idée de se vanter de son efficacité après l'arrestation à Marseille de deux hommes soupçonnés de vouloir commettre une action violente dans le cadre de la présidentielle. Mais ces discours de haine, de rejet de l'étranger, sont de l'enfumage. Les mesures annoncées sont juridiquement très fragiles ou tout simplement inapplicables. Marine Le Pen essaye, à la sortie du dernier virage, de faire oublier l'extrême dangerosité de son programme économique et social. Avec elle, on va raser gratis. Et quand les Français auront été ruinés par l'absurde retour au franc, elle mettra ses pantoufles pour contempler le désastre dans un fauteuil du château de Montretout, à côté de papa.   Il faut raison garder !   Évidemment, François Fillon veut marquer à la culotte son adversaire du tout sécuritaire. Il rêve de lui arracher son dossard dans la dernière ligne droite. Lui aussi, dit-il, prépare tout un arsenal (moins fourni, toutefois, en armes à ranger sur le râtelier). Il s'engage à faire "la guerre au totalitarisme islamique partout où il tente de s'infiltrer sur notre territoire". Un acte de bonne volonté ! Soit ! mais le problème est ailleurs. François Fillon n'a plus l'autorité morale, politique, lui permettant d'être le garant de la Constitution et de l'équilibre des pouvoirs. Il a été trop loin dans ses accusations contre les juges, les médias. Il n'a pas respecté la demeure où il veut entrer, accusant l'Élysée de renfermer un "cabinet noir". Comment un mis en examen, empêtré dans ses mensonges, reculs, imprécisions, pourrait-il nous donner confiance ? L'Élysée résonnera-t-il de bruits de chiottes envoyant à la fosse tous ceux qui auront pissé sur le châtelain ! François Fillon est un personnage sombre, revanchard. Nicolas Sarkozy n'a que mépris pour lui. Lisez "La cause du peuple" de Patrick Buisson, personnage sulfureux, mais au regard pénétrant. Voyez Alain Juppé et ses "airs de gazelle" quand il s'agit de s'afficher avec le candidat LR à la présidentielle. La droite vit une tragédie : elle ne veut pas de Fillon, mais ne peut pas ne pas le suivre.    Il faut raison garder !   Émotion encore !  Voici que monte sur l'estrade le bateleur Jean-Luc Mélenchon ! Il a le bagout, la culture sans doute (mais laquelle : celle de l'Amérique latine ?), se pose en pédagogue - pardon, prophète ! - anti-système, lui qui, ancien ministre de Lionel Jospin, vient du vieux système. On a le droit de changer.  C'est vrai qu'il aime le changement "l'Insoumis" ! Il veut nous soumettre à un régime économique et social totalement délirant. Notre confrère le Mulot (lire le mulot du 06/02/2017) a vite pointé la ressemblance entre le programme de Jean-Luc Mélenchon et celui de Marine Le Pen. C'est presque la confusion des extrêmes ! Alors, laissons-nous griser encore quelque temps par le discours populiste d'extrême gauche (non, de gauche, affirme-t-il) de ce candidat et revenons sur terre.   Il faut raison garder !   Au secours, Hamon ! Voilà un type honnête, sincère, hélas un peu naïf. Les circonstances ne l'ont pas aidé : une primaire de la gauche trop tardive pour permettre à son vainqueur d'enclencher une solide campagne présidentielle ; l'erreur stratégique d'avoir, pendant presque un mois, couru après les Verts, puis après les "Insoumis" pour, d'un côté, ramasser des queues de cerise et, de l'autre, conclure un pacte de non agression mortifère ; un rejet des socialistes qui n'étaient pas de son bord, le transformant en "frondeur" frondé… Au départ, son programme était novateur, mais il a été édulcoré au fil des semaines. Que reste-t-il, vraiment, du "revenu universel" ? Un machin auquel personne ne comprend rien et qui, selon certains tests d'application, aboutit à l'inverse du résultat espéré ! Quant aux robots, ils se préparent à sortir les pancartes pour refuser toute taxation ! Benoît Hamon devra retenir la leçon : il ne faut pas avoir raison trop tôt.   Il faut raison garder !   Et lui, le petit jeune, le "petit prince" (de 39 ans quand même !), qu'est-ce qu'il vient faire là ? C'était une bulle médiatique au départ, puis le traître de François Hollande (Valls a fait mieux après !), puis le sous-marin émergent de la banque Rothschild (horreur !), puis le suppôt du libéralisme (malheur !), et puis, et puis… il est toujours là et se trouve même en tête dans les sondages d'opinion ! Emmanuel Macron, même s'il est battu dimanche prochain, est la véritable nouveauté (le seul espoir ?) dans un paysage politique rabougri, sans sève, épuisé par les échecs d'une alternance gauche-droite que l'on a voulu, à tort, inscrire dans le marbre de la Vème République. "Emmanuel, ton tour viendra, mais aujourd'hui, c'est trop tôt", a osé Jean-Pierre Raffarin. L'heure est peut-être venue, au contraire, de "dégager" les anciens, y compris les vieux anti-système qui depuis de longues années se nourrissent du système.   Il faut oser !  
Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Il est le responsable éditorial de Paris Dépêches.