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Macron : gare à l'euphorie !

Publié le  Par Patrick Béguier

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Une élection n'est jamais gagnée d'avance. Le novice Emmanuel Macron devra s'interroger, tout au long de la campagne du deuxième tour, sur les mauvaises surprises réservées, il y a peu, à Alain Juppé, donné largement en tête à la primaire de la droite, ou à François Fillon, présenté ensuite comme le futur président de la République. Même les plus expérimentés peuvent pécher par excès de confiance.

        Un constat qui éclaire tout le reste : il y a deux France. La carte du premier tour dessine un ouest-sud-ouest qui a placé Emmanuel Macron en tête, tandis que le nord, l'est et le sud votaient majoritairement pour Marine Le Pen. L'on voit clairement aussi que le FN étend lentement, mais sûrement, son influence vers le nord-ouest, le sillon rhodanien et le centre.  Nous ne sommes plus en 2002 où, au second tour de l'élection présidentielle, Jacques Chirac avait balayé Jean-Marie Le Pen en récoltant 82,21% des suffrages exprimés. Nous ne sommes plus en 2002, où la quasi-totalité de la classe politique avait, d'entrée, fait barrage au président du Front national. Nous ne sommes plus en 2002, où d'énormes manifestations avaient eu lieu durant l'entre-deux-tours avec un summum atteint le 1er mai : deux millions de personnes dans les rues, dans une centaine de villes.   Dédiabolisation et grand écart   Cette fois, le candidat d'En Marche est crédité par les sondages d'environ 60% des intentions de vote. Dès le départ, il y a un écart de vingt points entre une enquête d'opinion et une réalité électorale ! Quant à la classe politique, on ne la sent pas saisie d'un fort sentiment de rejet. Certes, le président de la République, les membres du gouvernement, les socialistes ont appelé clairement à voter Macron pour faire barrage au FN. Mais, chez Les Républicains, qui digèrent très mal leur échec et pleurent devant l'élection qu'on leur a "volée", certaines voix sont bien timides. La droite ne s'érige pas en rempart face à la menace lepéniste. On voit même, interloqués, une Christine Boutin appeler au "vote révolutionnaire" (?) en faveur de Marine Le Pen !  Quant aux "Insoumis", qui avaient cru au père Noël du Grand Soir, ils n'ont pas le cadeau espéré mais la gueule de bois. En 2002, Jean-Luc Mélenchon affirmait : "Le vote d'extrême droite doit être réduit au minimum par nos propres forces". Aujourd'hui, on attend… Résultat : si "front républicain" il y a, il sera fragile et ne permettra pas un véritable contre-choc. Enfin, nul grand rassemblement anti-FN n'est annoncé. Seuls quelques groupuscules d'extrême gauche vont, ici ou là, alimenter la chronique en mettant le désordre (violent) dans nos rues.   Pendant ce temps-là, Marine Le Pen va aller à la pêche aux voix. On la voit prête à foncer vers tout ce qui bouge à droite (Nicolas Dupont-Aignan et ses 4,70% au premier tour, notamment) et… à gauche. Les "Insoumis", s'ils se retrouvent sans boussole ou si la candidate du Front national parvient à leur démontrer que le programme économique et social de Jean-Luc Mélenchon peut se fondre dans le sien, seront parfois tentés de franchir le pas, oubliant du coup leur rejet du racisme et de la xénophobie. La droite conservatrice, traditionaliste, peut aussi se laisser séduire. Elle déversera ainsi sa rancœur sur Macron, le "voleur".  La dédiabolisation s'essaye au grand écart !   Contre-attaquer et non défendre   Le gagnant du 23 avril n'aura donc pas la partie facile. Il ne bénéficiera pas, pour le pousser, de cette force supérieure qui avait permis à Jacques Chirac de "se promener" au second tour de la présidentielle de 2002. Cette force, il devra d'abord et surtout, la trouver en lui-même. Fini les manifestations de joie prématurées, les déclarations filandreuses, les zigzags de rock star dans Paris, les rendez-vous entre copains dans une cantine bobo. L'heure est grave. Il lui faut garder une certaine gravité, ce qui ne l'empêche pas de placer sa campagne sous le signe de l'espoir, de l'optimisme. La carte de France du premier tour, qui montre un pays géographiquement coupé en deux, mais aussi divisé au plan économique (grandes villes d'un côté, villes moyennes et campagne, de l'autre), professionnel (cadres, ici, ouvriers et employés, là), socio-culturel (les plus diplômés face aux non-bacheliers) doit interpeller le candidat. Marine Le Pen tentera de le caricaturer : Macron est un banquier bling-bling, un libre-échangiste qui n'en a que faire du "peuple" que, moi, j'incarne, un fossoyeur de la langue et de la culture françaises, un esclave du technocratisme bruxellois… Emmanuel Macron ne doit pas se replier en défense, près des buts où, du reste, il n'y a pas de gardien, mais se lancer dans une vigoureuse contre-attaque : démolir, avec calme et détermination, les arguments lepénistes, montrer que son image est autre que celle que les extrémistes de tous bords tentent d'imposer, mettre davantage en avant son programme sur l'éducation et la formation, montrer qu'une Europe refondée peut être protectrice face à une mondialisation sauvage et surtout, aller à la rencontre de cette moitié de la France qui souffre, doute, désespère souvent. Même s'il ne parvient pas à rassembler, Emmanuel Macron gagnera probablement l'élection présidentielle, mais avec un score médiocre. Alors, s'il échoue dans son quinquennat, la victoire est promise à Marine Le Pen en 2022.   Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Il est le conseiller éditorial
de Paris Dépêches.