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Mohamed Sifaoui un temps censuré sur Facebook

Publié le  Par Fabrice Bluszez

Crédit image © dr


Journaliste, écrivain et réalisateur franco-algérien, Mohamed Sifaoui vit en France depuis 1999. Il a publié sur Facebook un message expliquant pourquoi il cessait de commenter l'actualité algérienne. Le texte a été censuré, le voilà...

Sur le compte Facebook de Mohamed Sifaoui, une publication épinglée : un merci aux 25.000 lecteurs de son live "Takiyya. Comment les islamistes veulent infiltrer la France." Depuis qu'il analyse et commente l'actualité en France comme en Algérie, Mohamed Sifaoui ne s'est pas fait que des amis. Quand il a annoncé, le 30 mai, sa décision de ne plus commenter l'actualité algérienne, il a subi une attaque massive de signalements qui a conduit Facebook, d'abord, à censurer son texte.

 

Certains s’interrogent pourquoi j’ai cessé subitement de poster des commentaires sur la situation en Algérie. Je me suis beaucoup questionné sur l’intérêt d’apporter publiquement une réponse à cette question. Au bout d’une longue réflexion, qui a duré plusieurs mois, j’ai décidé d’y répondre. Je suis conscient que cela va susciter, comme d’habitude, des réactions intempestives, des insultes, des condamnations, des menaces, des diffamations, des accusations et beaucoup de haine. Oui parce que l’Algérien, globalement, est devenu un personnage haineux qui, très souvent, ne sait plus s’exprimer sans injures ni invectives. N’étant pas spécialiste des maladies de l’âme, je vais m’abstenir d’aller plus en avant sur ce terrain. Je vais répondre à la question posée à la fois franchement et très clairement. Que chacun se fasse sa propre opinion. De façon calme er raisonnée ou de manière hystérique pour rester dans le folklore local.


J’ai quitté ce pays définitivement en 1999 avec la ferme intention de ne plus jamais remettre les pieds (sauf peut-être dans des cas d’extrême urgence et encore !). En un premier temps, j’avais essayé de garder un lien pensant que le départ du régime, notamment celui de Bouteflika, permettrait de changer les choses, en tout cas de les améliorer. J’ai ainsi entretenu un espoir non pas pour moi, mais pour le pays. Je me suis trompé, car le mal est beaucoup plus profond. Le mal a gangrené le moindre recoin de l’exercice du pouvoir mais aussi de larges pans de la société. La majorité d’entre elle. Les uns corrompus par l’argent, les autres par des idéologies moyenâgeuses et par la chose matérielle.


L’Algérie est un pays toxique. Cela, je le savais. Ce que j’ignorais c’est qu’à force, beaucoup d’Algériens, abreuvés aux thèses nationalistes, xénophobes, islamistes et haineuses allaient eux-mêmes devenir toxiques à leur tour. Je ne généralise évidemment pas, car je sais que beaucoup ont réussi à se prémunir d’une mentalité d’autodestruction qui domine de la base au sommet. Mais je n’ignore pas que la débilité que véhicule le discours islamiste ou celui du mouvement Rashad est beaucoup plus audible que les positions d’un démocrate. Et dans tous les cas. Si le premier est incarné par un délinquant méprisable et le second par un intellectuel respectable, c’est le premier qui recueillera l’adhésion la plus large. C’est le résultat du formatage assuré, pendant longtemps, par le système FLN, RND, FIS, ANP, DRS et j’en passe.


D’un autre côté, je vais être direct, je me suis rendu compte il y a un an à peu près, en questionnant ce qu’il y a de plus intime en moi, qu’en vérité je n’avais absolument plus aucun lien avec ce pays que je ne considère plus comme le mien. Dans ma vie d’adulte, hormis des moments éphémères, en interrogeant ma mémoire, le nom Algérie n’évoque chez moi que des mauvais souvenirs. Beaucoup trop. Des choses désagréables que mon esprit ne veut plus retenir.


Le fameux « hirak », quel drôle de nom, a fini par me convaincre, au-delà du caractère folklorique qui peut revêtir un aspect sympathique et attachant qu’en vérité, l’être algérien, le citoyen, majoritairement, n’est plus apte à la démocratie. Si au début, il semblait porteur d’une idée intéressante et donc d’un espoir, à la longue, ce mouvement s’est laissé phagocyter par la médiocrité. Comme d’habitude. Oui le mal est très profond et, à mes yeux, incurable. D’ailleurs cela est vérifié auprès d’une majorité d’Algériens qui s’exilent. La plupart ne partent pas pour partager des valeurs avec des sociétés modernes, ils ne partent pas pour la démocratie et les Droits de l’homme ou la liberté d’expression, ils ne partent pour que leur femme et leurs filles puissent acquérir des droits, ils partent pour mieux consommer et profiter de la société matérialiste emportant ainsi, le plus souvent avec eux, leur mentalité faite de fanatisme religieux, de bigoterie, de superstitions et d’archaïsmes. Leur femme et leurs filles gardent le plus souvent le voile, ils quittent l’Algérie pour s’enfermer, en Europe, dans des ghettos pour vivre avec des Algériens, ils vont même jusqu’à essayer d’imposer aux pays d’accueil les archaïsmes qui ont massacré leur propre société, et j’en passe.


Oui, par honnêteté et franchise, je le dis, je ne ressens plus rien pour ce pays. Il n’y a plus rien qui vibre à l’intérieur de moi quand j’entends le mot Algérie. Il m’arrive même de ressentir du dégoût. Quand je vois comment la société réagit face à l’arbitraire, comment le régime traite ses ressortissants, comment les binationaux sont souvent considérés par le pouvoir et par le peuple, ce mépris insupportable qui amène un régime à poser des conditions drastiques, au mépris des règles constitutionnelles, pour empêcher des Algériens de rentrer chez eux dans des conditions normales. Oui tout ceci et beaucoup d’autres choses inspirent en moi du dégoût.

La crise sanitaire et sa gestion - à comparer avec un pays comme le Maroc par exemple - est, s’il en fallait encore, une illustration supplémentaire de la gabegie.


Voilà pourquoi je ne regarde ce pays qu’avec l’œil du journaliste qui peut s’intéresser à l’Algérie indistinctement comme il s’intéresse au Burkina Faso, à la Syrie ou au Mexique. Il n’y a rien qui peut m’empêcher d’évoquer ce pays, certes, mais il n’y a absolument aucune raison qui m’oblige à le faire : même pas des considérations personnelles.


Je me suis rendu compte que le fait d’aimer quelques plats algériens comme on aime des tapas espagnols ou des spécialités italiennes, cela ne fait pas de moi un amoureux de l’Algérie. Idem. Si j’écoute la musique algéroise, comme j’écoute du Jazz ou du Blues cela ne fait pas de moi un Algérien. En vérité, je ne partage plus rien avec ce pays : ni ses aspirations, ni la place prise par la religion dans l’espace public, ni la haine qui structure ce pays, ni la xénophobie qui l’anime, ni la corruption qui le ronge, ni l’autoritarisme qui le caractérise, ni ce rejet des valeurs universelles, ni l’absence d’éthique. Rien !


On est d’un pays, on y est attaché, quand on est interpellé par ses problèmes, son devenir, sa situation, quand on suit son actualité, qu’on vibre pour ses joies et ses peines. On est d’un pays quand on se reconnaît dans un destin commun. Or, moi, depuis un moment déjà, je ne me sens plus du tout concerné par l’Algérie. Je ne lui porte ni amour ni haine. Jé suis totalement indifférent en réalité au sort de l’Algérie et des Algériens. Où je ne me sens pas plus concerné autrement qu’à travers une curiosité intellectuelle qui m’amène à suivre l’évolution de la Libye ou du Mali. Voilà qui devait être dit !


PS : J’ai lu quelques commentaires. Je comprends certaines réactions, pas celles qui insultent ou qui tentent de me psychanaliser. Je pense avoir un total équilibre psychique et nul besoin de psychologues de Facebook pour m’expliquer la démarche qui est la mienne.

Pour les autres, désolé d’avoir choqué ou blessé. C’est ma nature de dire les choses de façon directe et franche. Oui, je suis comme ça : quand j’aime, j’aime vraiment. Et quand je n’aime plus, je n’aime plus vraiment et je le dis.


Personne n’est condamné ou sommé d’aimer son pays de naissance. Quand je n’aime plus, même un pays, c’est que des choses se sont produites. Des choses suffisamment graves, blessantes et inexcusables pour provoquer ce mépris, cette indifférence, que j’éprouve aujourd’hui. Je n’aime pas qu’on me fasse la leçon. Surtout quand ce sont des personnes qui ont probablement tout à apprendre en matière d’honnêteté et de sincérité qui s’adonnent à cet exercice. L’Algérie c’est le pays où le frère a tué son propre frère. C’est le pays où le voisin a violé sa voisine. C’est le pays où le fils vole son père. Je le répète : c’est un pays où la majeure partie de la population passe sa vie dans la mosquée, a agir selon une logique inquisitoire, tout en étant dénuée d’éthique. Le problème c’est le pouvoir certes. Mais le problème c’est le peuple aussi. Ses dirigeants sont à son image et issus de son sein et de ses entrailles.


J’ai voulu juste clarifier une position personnelle, rappeler qu’il faut sortir de cette hypocrisie qui laisserait penser que les militants de Rashad ou de je ne sais quel mouvement politique seraient, de facto, car « opposants », plus respectable que les dirigeants corrompus qu’ils fustigent. La vraie question est là, me semble-t-il. Merci pour vos réactions car beaucoup ont compris le sens de mon propos.  

 

Ce mercredi 2 juin, vers midi, le texte a été rétabli par Facebook. Mohamed Sifaoui explique : « Après insistance, quelques appels téléphoniques à Facebook France, une demande de réexamen du texte, il m’a été confirmé qu’un signalement massif probablement opéré de manière concertée par une entreprise ou une "officine" a été a l’origine du blocage de ma publication sur l’Algérie.  »