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Paris : la marche républicaine vue de l’intérieur

Publié le  Par Antoine Sauvêtre

Crédit image © Maya-Anaïs Yataghène - flickr


Fier d’avoir participé à la marche républicaine de dimanche, j’ai décidé de troquer ma casquette de journaliste pour celle du citoyen que je suis pour raconter ma marche… notre marche républicaine.

J’ai longuement hésité avant de choisir comment parler de  cette marche. Habitué au ton très (trop ?) neutre du journalisme, je ne souhaitais pas traiter un tel sujet sans la jouissive saveur de la liberté d’expression que défend depuis toujours Charlie Hebdo.
 

On dit souvent qu’un dessin en dit plus que des mots. Mais comme mon crayon à papier est plus hésitant que ma plume, j’ai décidé de raconter MA marche, celle que j’ai vécue comme une grande partie des Français, en tant que citoyen. J’ai donc choisi de mettre au placard les règles journalistiques, comme celle de bannir le « je », et de mettre en lumière mes sentiments.

Symbole

Cette marche, je devais la vivre avec des amis. Parmi eux, Malik, algérien et musulman. Tout comme moi, je sais qu’il tenait à vivre ce moment avec ses camarades français. Non seulement pour le symbole que cela représente mais surtout pour nous. Pour nous sentir unis dans ces moments difficiles.
 

Il est 14h quand ma petite amie et moi partons du quartier de la Bastille dans lequel je réside. Pour rejoindre la place de la République à pied, nous empruntons le boulevard Richard-Lenoir, désormais tristement célèbre pour avoir vu un policier abattu de sang-froid par la barbarie. Nous passons devant les fleurs et les bougies déposées à l’endroit même où s’est déroulé cette scène atroce. Le silence, les regards, les pensées affectueuses envahissent déjà le boulevard de l’horreur… Quelques mètres plus loin, nous lançons un regard furtif, presque gêné, vers une rue adjacente. La rue Nicolas Appert, où 11 autres personnes ont trouvé la mort dans les locaux de Charlie Hebdo. C’est pour eux, et pour toutes les autres victimes que des milliers d'individus, Français ou étrangers, sont déjà réunis ici, à plus d’un kilomètre du point de rendez-vous initial.

Union

La place de la République, nous n’y accéderons jamais. Les rues de la plus grande ville de France sont ce jour-là trop petites pour accueillir tous ceux qui veulent témoigner de leur soutien. Bloqués par quelques policiers, nous stagnerons à l’intersection du Boulevard Voltaire pendant près d’une heure et demie. Je comprends alors que je ne pourrai pas rejoindre Malik. La marche nous la vivrons par textos interposés et à travers les quelques appels que le réseau voudra bien laisser passer.
 

Cette halte sera l’occasion de vivre les premières démonstrations d’unions de la journée. Il y’a d’abord eu les sourires échangés entre CRS et « marcheurs ». Une scène inhabituelle, pour ne pas dire improbable, moi qui ai connu plusieurs manifestations d’un autre genre, où les regards entre forces de l’ordre et manifestants s’apparentent plus à un duel de western qu’à ceux d’un film à l’eau de rose. Lorsque les premiers camions de police fendent la foule, les applaudissements pleuvent. Les battements du cœur s’accélèrent. Les yeux brillent. Les CRS, eux, tentent de garder leur sang-froid, mais nous sentons bien que leur carapace habituelle qu’exige leur métier se fissure.

Humour

Quelques instants plus tard, un petit groupe d’individus lance une Marseillaise. Je me dis que Charb, Cabu et les autres seraient bien embêtés par un tel soutien. « Aux armes citoyens, formez vos bataillons… ». Mais au beau milieu du refrain, un jeune homme crie plus fort que les autres. Il ne chante pas mais, impatient de débuter le parcours, hurle « marchons, marchons ! » La foule rie. L’honneur de Charlie est sauf.
 

De nouveaux applaudissements viennent de la Bastille, et avec eux, plusieurs bus de couleur grise et aux vitres teintées. Comme un seul homme, tout le monde frappent des mains. On ne sait pas qui se trouve à l’intérieur et là encore, je me dis que les caricaturistes de Charlie Hebdo croqueraient avec appétit ce moment cocasse.
 

- « C’est qui dans les bus ? »

- « J’sais pas, mais ta gueule, et applaudis ! »
 

J’apprendrais plus tard qu’il s’agissait des chefs d’Etats, qui venaient de l’Elysée. Probablement pour des raisons de sécurité, ils n’ont marché que sur une centaine de mètres, quand d’autres ont défilé pendant plus de 5h et sur près de 4 kilomètres.

Emotion

Sur notre gauche, nous apercevons les premiers marcheurs. Sur le boulevard Voltaire, ouvrant la marche, un cortège de policiers brandit une affiche « Policiers en deuil ». Nous leur emboitons le pas, il est 16h30. Nous découvrons alors les pancartes, les messages, les dessins que de nombreuses personnes ont pris le soin de sélectionner puis d’exposer aux yeux de tous. Certains, dérobés aux défunts caricaturistes, nous font sourire et pleurer en même temps.
 

Il règne un silence stupéfiant, bientôt brisé par des applaudissements fracassants. En levant la tête, nous voyons les résidents qui observent le défilé avec émotion. Des personnes âgées, des jeunes, des familles, des juifs, des musulmans, des femmes voilées, des riches en peignoir sur leur balcon, des moins riches au dernier étage… Tous applaudissent ceux qui passent dans l’arène. Ce mélange savoureux me remplit d’émotions. On retient nos larmes, certains serrent de plus en plus fort la main de leurs compagnes ou compagnons de route. Cette scène se répétera à de nombreuses reprises, sans jamais nous lasser, jusqu’à la fin du parcours.

Sentiment partagé

Il est près de 18h30, notre marche se termine. La place de la Nation n’a jamais aussi bien porté son nom. Elle est blindée. Quelques minutes auparavant, j’apprenais que mes amis venaient à peine de partir de la place de République et je comprends alors mieux l’ampleur du phénomène.
 

Petit à petit, les premiers arrivants rejoignent les rues adjacentes et laissent la place à ceux qui arrivent derrière dans un flot continu. La marée humaine se disperse. Nous reprenons le chemin vers Bastille, fiers d’avoir participer à un tel moment, que nous aurions pourtant aimé ne jamais avoir à vivre.