Accueil |  Qui sommes-nous |  Contact


Déclin des abeilles et menaces sur l’agriculture

Publié le  Par Un Contributeur

Crédit image ©


Barack Obama vient de convoquer les journalistes pour évoquer la protection des abeilles, malheureusement il y a d'autres espèces menacées dont la disparition serait catastrophique pour l'Homme. Par Bruno Parmentier

Pour revoir l’émission de "C dans l'air", du vendredi 27 juin 14, sur le thème : « Obama veut sauver les abeilles », et prendre conscience de l’effarant déclin des insectes et des menaces que cela représente pour l'agriculture : http://www.france5.fr/emissions/c-dans-l-air/diffusions/27-06-2014_250037
 

L’homme le plus puissant du monde vient de convoquer les journalistes pour leur dire l’urgence absolue de protéger une population en péril. Laquelle donc ? Monsieur Obama voulait-il s’intéresser aux Irakiens et aux syriens, aux centrafricains, aux sud soudanais, voire même aux karens de Birmanie ou aux roms en Europe ? Non, rassurons-nous, il voulait parler… des abeilles ! Il avait dû se souvenir de cette citation attribuée (faussement) à Einstein : le jour où les abeilles disparaîtront, l’humanité n’aura plus que quelques années à vivre. Dommage qu’il n’ait pas associé dans cette soudaine sollicitude les vers de terre, tout aussi indispensables à notre survie.
 

L’heure est effectivement grave, comme pourront le constater de façon expérimentale cet été les vacanciers sur la route des plages. Leurs pare brises seront propres à l’arrivée, plus d’insectes pour s’y écraser (ce qui les salit dorénavant de façon fréquente, c’est le sable du Sahara !). Plus scientifiquement, un consortium international de 50 chercheurs de 15 nationalités, la Task Force on Systemic Pesticides, vient de rendre un rapport extrêmement alarmant : « Nous assistons à une menace pour la productivité de notre environnement agricole et naturel. Loin de sécuriser la production alimentaire, l’utilisation des néonicotinoïdes met en péril les pollinisateurs qui la rendent possible ».
 

Une hécatombe qui ne peut nous laisser indifférents
 

Nous avons probablement perdu la moitié de nos papillons depuis trente ans, et 30 % des abeilles meurent dorénavant chaque année. Une véritable hécatombe (certains parlent de « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ») et par conséquence, les populations d’hirondelles et autres oiseaux insectivores ont aussi diminué de moitié, etc. Sans oublier les lombrics et autres animaux et micro-organismes du sol. Avons-nous joué les apprentis sorciers et déclenché une catastrophe ?
 

Il semble bien que les nouveaux insecticides « systémiques » massivement employés depuis les années 90 jouent un rôle majeur dans cette disparition. On trouve parfois de véritables tapis d’abeilles morte au pied des ruches. Les survivantes, devenues folles, ne savent plus s’orienter, ou bien, durablement affaiblies, surtout que la diversité de leur alimentation décroit fortement avec les monocultures et l’absence de haies autour, attrapent toutes les maladies qui passent, et en particulier n’arrivent plus à résister au parasite acarien « Varroa destructor ». Cerise sur le gâteau, le redoutable frelon asiatique passe massivement à l’attaque.
 

Un supermarché avec abeilles, le même sans abeilles !
 

Il ne s’agit pas pour nous du seul risque de manquer de miel pour nos tartines du petit déjeuner, sinon Obama ne se serait pas donné cette peine ! Il s’agit d’une menace majeure pour tous les animaux pollinisateurs, abeilles domestiques, mais aussi bourdons, guêpes, papillons, mouches, etc. (il y aurait plus de 200 000 espèces d’animaux pollinisateurs !). Or la plupart des plantes que nous mangeons (près de 85 %) ont besoin de cette pollinisation pour vivre : presque tous les fruits (pommes, abricots, cerises, fraises, framboises, etc.), des légumes (courgettes, tomates, salades, etc.), mais aussi les radis, les choux, les navets, les carottes, les oignons, les poireaux, le thym, l’huile de tournesol ou de colza, et même le café et le chocolat ! Sans pollinisateurs, pour faire bref, il ne nous restera plus que le blé, le maïs et le riz, des repas somme toute assez déprimants, et, accessoirement, plus grand-chose à mettre dans nos pots de fleurs.
 

En Chine, on en est bien arrivé à tenter de polliniser à la main, avec des cotons tiges imbibés de pollen, mais, indépendamment du coût d’une telle opération, comment remplacer efficacement toutes ces ouvrières si nombreuses et dures à la tâche ! Songeons qu’une abeille visite 250 fleurs en une heure, y compris dans les endroits les plus inaccessibles, et une ruche peut traiter à elle seule jusqu’à 30 millions de fleurs en une journée.
 

Souvenons-nous du DDT…

 

Synthétisé pour la première fois en 1874, ce « produit miracle » sort de l'anonymat en 1939 grâce à Paul Hermann Müller, qui découvre ses propriétés neurotoxiques pour les insectes ; de plus il est chimiquement stable et peu coûteux. Dès 1943, l'armée américaine l’utilise massivement pour enrayer une épidémie de typhus à Naples. À partir de 1945, on lance des programmes dans 48 pays pour tenter d'éradiquer le paludisme. L'épidémie est enrayée en Grèce en une année ; en Inde, on passe de 75 millions de cas à seulement 50 000 en quinze ans ; en Afrique du Sud, le nombre de cas est divisé par dix. Le DDT à lui seul sauve des millions de vies humaines et son inventeur obtient pour cela le prix Nobel de médecine. Symbole du modernisme de la fin du xxe siècle, il est utilisé abondamment, voire abusivement en agriculture.
 

Cependant, en 1962, la scientifique Rachel Carson observe que des oiseaux insectivores meurent en masse dans des zones où le DDT a été épandu. Dans son livre Le Printemps silencieux, elle tire la sonnette d'alarme à propos des pesticides et prédit la destruction massive des écosystèmes de notre planète. On s'aperçoit alors progressivement des inconvénients majeurs de ce produit :

sa « demi-vie » est de quinze ans, c'est-à-dire que si on en pulvérise 100 kg dans un champ, quinze ans après il en restera 50 kg ;

il est dispersif et peut être transporté dans l'atmosphère sur de longues distances : on en a retrouvé dans les neiges de l'Arctique ;

il est biocumulatif : les animaux qui en absorbent sans en mourir ne parviennent pas à l'éliminer et le stockent dans leurs graisses. Il se concentre alors tout au long de la chaîne alimentaire, y compris très loin des zones d'épandage, par exemple dans le corps des animaux polaires. On en a finalement retrouvé en forte concentration dans le lait maternel ;

il fragilise les coquilles des œufs en diminuant leur épaisseur, ce qui a entraîné la quasi-disparition d’espèces d'oiseaux comme les pygargues, les faucons pèlerins et les pélicans bruns ;

il est toxique par voie orale. Heureusement, il ne l’est pas par voie respiratoire ou cutanée. Les gens qui ont porté des vêtements imbibés de DDT pour se protéger des insectes n’ont pas été infectés. Mais il a surtout une toxicité chronique à long terme ; la dose journalière admissible est de 1 200 µg par jour.

Finalement, en 1969, l'OMS a abandonné son programme d'éradication du paludisme par le DDT ; la France et les États-Unis le bannirent en 1972, et, à la conférence de Rio de 1992, il a été désigné comme l’un des 16 polluants organiques persistants interdits.
 

…Pour analyser sereinement les nouveaux insecticides

 

Au démarrage les scientifiques avaient pensé faire une avancée majeure : pour diminuer, voire supprimer les pulvérisations aériennes, très polluantes, ils ont mis au point des insecticides systémiques (qui pénètrent le système même de la plante), et ont eu l’idée d’en enrober les graines elles-mêmes. On repoussait ainsi d’entrée de jeu les prédateurs du sol, puis, au fur et à mesure où la plante poussait, les prédateurs aériens. Mais pour ce faire, il a bien entendu fallu concentrer fortement le produit actif (on arrive actuellement à des concentrations 5 à 10 000 fois plus fortes que le vieux DDT). Les inventeurs de ces produits les ont déclarés « sélectifs », en assurant en particulier que la plante n’en mettrait pas dans ses fleurs, seulement dans ses feuilles, et que donc les pollinisateurs seraient, eux, épargnés. Il semble bien que ce ne soit pas toujours le cas… sans compter les dégâts faits dans le sol, où l’insecticide persiste plusieurs années, attaquant des animaux aussi indispensables que les vers de terre, et bien d’autres, puis en partant dans les cours d’eau et en attaquant la faune aquatique.
 

Il faut donc avoir le courage de se demander si le remède n’est finalement pas pire que le mal ! Si, pour protéger les récoltes d’aujourd’hui contre les insectes prédateurs, on tue également les pollinisateurs, on n’aura plus de récoltes du tout dans quelques années ! Si, pour avoir des céréales et oléagineux vigoureux, il faut sacrifier les fruits et légumes, c’est trop cher payé.
 

Bien entendu, en la matière, tous les lobbys se déchainent, et on n’a encore rien vu puisque les politiques n’ont pas encore réellement commencé à prendre des mesures conservatoires. Les industriels de la protection des plantes vont dépenser sans compter pour sauvegarder leurs marchés (2 milliards d’euros annuels en France, 40 dans le monde). De nombreux agriculteurs et leurs organisations (coopératives, syndicats, chambres) vont étaler leur désarroi, ne sachant pas, ou plus, comment produire efficacement sans ces béquilles si commodes. De l’autre côté, des organisations écologistes vont demander de tout arrêter sans délai, et dans le même mouvement tout ce qu’ils appellent le « productivisme ». On n’a pas fini d’en parler ! Et le minuscule lobby des apiculteurs ne doit pas être considéré comme quantité négligeable, car ce sont de vrais porte-parole des « sentinelles de la Terre » (exemple : Sauvons les abeilles).
 

Mais quand même, l’heure est grave, il s’agit ni plus ni moins que de la survie de l’agriculture et donc de l’humanité derrière cette histoire d’abeilles. Il reste à espérer que ces acteurs, et surtout les hommes politiques, seront à la hauteur des enjeux réels.
 

On peut être productifs sans ces pesticides !
 

Dans ces débats, il ne faut pas non plus « jeter le bébé avec l’eau du bain » ! On a vraiment besoin de produire de la nourriture, énormément de nourriture, de plus en plus de nourriture sur terre. Il faut encore augmenter de 70 % la production agricole mondiale, et baisser radicalement la production dans les régions du globe où l’agriculture est efficace sans savoir si les zones d’agriculture peu productives pourront augmenter leur production et prendre le relais, c’est prendre le risque d’une déstabilisation majeure de la paix dans le monde : émeutes de la faim, révolutions, guerres, terrorisme, extrémismes de tous bords.
 

Il est donc plus qu’urgent de mettre en œuvre beaucoup plus rapidement les solutions « écologiquement intensives » pour l’agriculture : intensifier les processus écologiques au lieu d’intensifier les processus chimiques. A l’association AEI (pour une agriculture écologiquement intensive) on rassemble des gens de tous bords qui commencent à avancer résolument dans ce sens, via de nombreuses voies très prometteuses.
 

Ça tombe bien en France on met en place actuellement une nouvelle loi d’avenir pour l’agriculture. Il est plus qu’urgent de « produire autrement » comme le préconise (bien timidement) le Ministre Le Fol. Et de produire… avec abeilles.


Par Bruno Parmentier, auteur de "Nourrir l’humanité" (Editions La Découverte), de "Manger tous et bien" (Editions du Seuil), et de "Faim zéro" (EditionsLa Découverte, sept 14) et animateur du blog http://nourrir-manger.fr/