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Réchauffement climatique (IV) : l'agriculture moderne aggrave la situation

Publié le  Par Un Contributeur

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Le secteur agricole est l'un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et donc l'un des plus gros contributeurs du réchauffement climatique, davantage, par exemple, que le secteur des transports. Et nos fâcheuses habitudes alimentaires, faites de gaspillages, aggravent considérablement la situation. Nous poursuivons aujourd'hui l'analyse réalisée pour Paris Dépêches par le spécialiste français Bruno Parmentier.

    1- L’AGRICULTURE, ET SURTOUT L’ELEVAGE EMETTENT DE 20 A 25 % DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE Il ne s'agit pas tant du gaz carbonique CO2, dont l'émission excessive provient essentiellement de la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Bien entendu, lorsqu'on brûle des plantes (par exemple de la paille ou du bois), on émet aussi du gaz carbonique, mais c'est un jeu à somme nulle puisqu'on rend à l'atmosphère le gaz carbonique que la plante a fixé dans les mois ou les années précédentes. Ce n'est pas du tout la même chose avec les énergies fossiles, car, dans ce cas, on remet dans l'atmosphère à grande vitesse le carbone qui avait été fixé par les forêts tropicales il y a des millions d'années ! Il y a encore quelques années, l'agriculture en émettait peu, mais maintenant elle s'y met de plus en plus, à cause de la mécanisation et des transports incessants engendrés par la division mondiale du travail qui a également touché ce secteur. Par exemple, dans les années 1950 et 1960, le passage de la traction animale à la généralisation du tracteur a permis d'augmenter la production agricole de façon très importante, car auparavant on estimait que près du tiers des surfaces agricoles était destiné à produire le fourrage qui nourrissait les bœufs et les chevaux de trait. Mais le prix à payer a été triple : forte baisse de l'emploi dans l'agriculture, grande dépendance aux énergies fossiles et forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Il y a à peine un siècle, en plus de l’énergie solaire et des énergies humaines et animales, il fallait ajouter 1 calorie fossile pour produire 1 calorie alimentaire, maintenant il en faut 100 fois plus ! Un exemple particulièrement caricatural est fourni par la production de légumes hors saison dans des serres chauffées. Mais d’autres activités produisent ce gaz dorénavant nocif : l’utilisation de fertilisants de synthèse, la déforestation et le changement des couverts végétaux, l’oxydation de la matière organique dans les sols, l’abattage des animaux et la transformation des produits issus de l’agriculture et l’élevage. Au total, on estime que l’agriculture produit de l’ordre de 9 % des émissions de CO2 (soit un peu moins de 3 milliards de tonnes sur plus de 30), un gaz responsable à lui tout seul de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Elle est  donc à l’origine, à ce seul titre, de l’ordre de 5 % du réchauffement global. Et ceci est dû aux agricultures modernes, dont celles de l'Europe de l'Ouest.   Méthane et protoxyde d'azote   Cette contribution est malheureusement doublée par celle d’un autre gaz sur lequel l’agriculture est championne, puisqu’à elle seule elle en produit la moitié : le méthane CH4, au pouvoir réchauffant 23 plus élevé que le CO2, car une fois émis, il reste beaucoup plus longtemps dans l’atmosphère. Comme ce gaz apporte au total 15 % des émissions humaines causant le réchauffement de la planète, l'agriculture contribue donc à ce titre de l'ordre de 7,5 % du réchauffement global. Le méthane est un produit de la décomposition de la matière organique en milieu chaud et humide. La Terre en produit naturellement, essentiellement dans les zones humides du type marais et marécages, voire dans les cimetières. Parfois il s’enflamme spontanément au contact de l’oxygène de l’air, ce sont les feux follets, à la source de nombreuses croyances et légendes quand on ne savait pas l’expliquer.  L’homme aggrave fortement ce phénomène, qui se produit couramment dans les rizières, lesquelles émettent à elles seules 10 % du méthane émis par l’homme dans le monde, et vont se développer considérablement dans les prochaines décennies pour mieux nourrir les nouveaux habitants de la planète. Il faut donc mieux diffuser les techniques qui permettent de produire davantage de riz en émettant moins de méthane. Mais le méthane provient surtout des estomacs des ruminants, qui les réémettent sous forme de pets et de rots. On estime ainsi que l’élevage émet à lui seul 37 % de tout le méthane dû aux activités humaines (de l’ordre de 2,2 milliards de tonnes sur près de 6). Et ce n'est pas tout, il faut également prendre en compte un autre gaz extrêmement réchauffant (298 fois plus que le gaz carbonique !), le protoxyde d’azote N2O, émis lors de la décomposition des excréments et des fertilisants de synthèse. Le secteur agricole émet les deux tiers de ce polluant, soit environ 2,2 milliards de tonnes sur 3,4. Comme ce gaz compte au total pour environ 5 % de réchauffement de la planète, l'agriculture reprend à son compte et à ce titre encore environ 3,2 % du réchauffement global.   Intéressantes légumineuses   Ces émissions de protoxyde d'azote sont, pour une moitié, directes, juste après l'apport d'engrais. L'autre moitié des émissions est indirecte : elle résulte des processus de transformation des produits azotés via les micro-organismes du sol (minéralisation, nitrification, dénitrification). Ces phénomènes sont beaucoup plus difficiles à maîtriser. Mais dans tous les cas, on ne se trompe pas en apportant moins d'azote exogène, et en privilégiant l'apport plus naturel des plantes qui savent fixer l'azote de l'air et le stocker sous forme de nodules autour de leurs racines : les légumineuses. Rappelons qu’en la matière, la France a fortement régressé depuis 1960, date à partir de laquelle la Communauté européenne a permis l’entrée sans droits de douane du soja, utilisé dans l’alimentation animale. En 2012, les légumineuses cultivées seules représentaient moins de 3 % des surfaces arables, contre près de 17 % dans les années 1960. En comparaison, ces cultures occupent entre 10 et 25 % des surfaces en Amérique du Nord et en Asie. Il s’agit ni plus ni moins que de regagner le terrain perdu, à la fois pour des raisons d’indépendance de notre élevage, de fertilité de nos sols et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La spécialisation géographique des productions agricoles a également considérablement aggravé le phénomène, car elle génère en permanence un excédent de déjections animales dans l'ouest de la France, provoquant un excellent apport azoté sur les terres où elles sont épandues, et un recours excessif aux engrais minéraux dans le Bassin parisien céréalier, faute de fumiers et lisiers. La FAO a édité un rapport en 2006 déclarant que la contribution totale du seul secteur de l’élevage avoisinait les 18 %. Les « ennemis de la viande » se sont emparés de ce chiffre pour réclamer une réduction drastique de ce secteur économique. Mais on peut également remarquer qu’il s’agit là du gagne-pain de 1,3 milliard de personnes, soit 20 % de la population mondiale (20 % de la population mondiale produisant donc 18 % des gaz à effet de serre…). Si on rajoute les émissions de l'agriculture à celles de l'élevage, plus celles liées à la déforestation et au changement d’affectation des sols, ainsi que celles de tous les processus liés à l’alimentation, la plupart des experts estiment que la contribution totale du secteur se situe entre 20 et 25 % des émissions totales, la France se situant dans la fourchette basse. Insistons enfin sur le fait que le secteur mondial de l’élevage croît plus vite que tout autre sous-secteur agricole. D’après certaines estimations, la production mondiale de viande devrait plus que doubler en un demi-siècle, passant de 229 millions de tonnes en 1999/2001 à 465 millions de tonnes en 2050, tandis que celle de lait devrait grimper de 580 à 1 043 millions de tonnes, pour satisfaire la demande fortement croissante des classes moyennes des pays émergents. Comme il semble hors de question de doubler la production de gaz à effet de serre, le secteur devra impérativement trouver des moyens nouveaux pour diminuer cette contribution fatale.   2- NOUS AVONS DES HABITUDES ALIMENTAIRES FAITES DE GASPILLAGE, CE QUI AGGRAVE ENCORE CETTE SITUATION C’est peu de dire que notre alimentation prélève beaucoup de ressources de la planète et émet beaucoup de gaz à effet de serre. Pour remplir notre assiette de Français, il faut un quart d’hectare de terre, plus chaque jour 4 000 litres d'eau et 4 litres de pétrole !  Le site de l’association de restaurateurs Bon pour le climat donne de façon très simple le poids de gaz à effet de serre par produit consommé (en kilo de gaz carbonique par kilo mangé), ce qui permet à chacun, restaurateur ou maîtresse de maison, de faire ses choix en connaissance de cause. Par exemple :   Fruit ou légume frais de saison produit localement : 0,15  Fruit ou légume frais hors saison importé : 3  Farine de blé (et pain) : 0,6  Beurre, production locale : 9,1  Poulet, production locale : 2,1  Veau, production locale : 14,0 On peut évidemment en déduire que le fait manger systématiquement des légumes de saison produits localement est nettement meilleur pour la planète que de manger des légumes hors saison importés (20 fois moins de gaz à effet de serre). Par exemple, 1 kilo de fraises de sa région, acheté en saison, nécessite 0,2 litre de pétrole. S'il est produit outre-mer et transporté par avion pour être vendu en hiver, il lui faudra 4,9 litres de pétrole, soit 25 fois plus. Mais cela va plus loin : même pour les produits de saison, la société dite « moderne » a spécialisé des régions entières dans certaines productions, pour réaliser des « économies d’échelle ». Par exemple en France le blé dans le bassin parisien, les pommes de terre dans le nord, le lait en Normandie, le porc et le poulet dans l’ouest, etc. Donc tout aliment voyage, parfois sur de grandes distances. On estime qu’aux USA, où l’on n’a pas le même sens des distances qu’en Europe et où cette spécialisation régionale est très marquée, la nourriture parcourt en moyenne 2 400 km avant d’arriver dans l’assiette.   Les 9000 km du yaourt à la fraise   Tout cela se fait généralement par camion. Or le transport routier est 9 fois plus émetteur que le transport ferroviaire et 3 fois plus que le transport fluvial. L’avion, lui, consomme 70 fois plus que le bateau, ce qui fait que de ce point de vue, dans le commerce international, il ne faut pas confondre le transport par avion de fraises fraiches du Maroc ou de Turquie et celui par cargo de moutons congelés de Nouvelle Zélande ou de bananes des Antilles. Car ce cargo-là consomme beaucoup moins d’énergie et émet beaucoup moins de gaz à effet de serre que la livraison par gros camion du Havre à Rungis, laquelle à son tour consomme moins que la foule de camionnettes qui livrent les petits magasins du centre de Paris… Les produits transformés peuvent, eux, atteindre des sommets : les ingrédients d’un pot de yaourt à la fraise peuvent parcourir plus de 9 000 km, si on prend en compte le trajet parcouru par chacune des matières premières (fraises, lait, levures, sucre, pot, couvercle, étiquettes, etc.) et celui jusqu’au domicile du consommateur. Ce poids du transport devient énorme dans le secteur de l’élevage « hors sol ». Par exemple, on transporte chaque année des millions de tonnes d’aliments pour animaux rien qu’en Bretagne. D’où les polémiques qui ont longuement agité ce milieu jusqu’à ce que la France autorise en 2012 de charger 44 tonnes par camion, comme il est autorisé en Europe, au lieu des 40 qui étaient la norme hexagonale, ce qui représente une économie de 80 millions d'euros par an pour ces filières. Notons au passage que le transport des aliments du lieu de vente au domicile n’est aucunement négligeable : faire ses courses en voiture est 3 fois plus polluant que de prendre les transports en commun. Le vélo et la marche, quant à eux, n’émettent aucun gaz à effet de serre. En France, seules 12,2 % des marchandises étaient transportées par voie fluviale ou ferroviaire en 2013, contre 20 % en 1990…   Nous mangeons trop de viande et de produits laitiers   En ce qui concerne l’excès de viande, le verdict est sans appel : un carnivore qui roule en vélo réchauffe beaucoup plus la planète qu’un végétarien qui roule en 4x4 ! La production d’un kilo de viande de veau rejette environ la même quantité de gaz à effet de serre qu’un trajet en voiture de 220 km. Pour le bœuf, on en est à 79 km, et pour le poulet à 7 km ; on voit que les différences sont considérables.   De ce seul et strict point de vue, la différence avec le bio n’est pas absolument fondamentale. La triste vérité est donc la suivante : manger bio c'est sans doute bien, mais pour le climat, il faut avant tout manger moins de viande (ce qui permet de ne la consommer que bio). L’excellent et très pédagogique site Manicore observe avec justesse : « Les dépenses consacrées à l'achat de produits "bruts", par exemple des légumes ou des fruits frais en vrac, ou de la viande fraîche, ne représentent plus que 20 % de l'ensemble de ce que nous consacrons à l'alimentation (en moyenne). Le reste de nos dépenses est consacré à des productions de l'industrie agro-alimentaire : pâtes, conserves, surgelés, plats préparés, biscuits et confiseries, boissons, etc. Or, ces industries consomment de l'énergie en direct, et donc émettent des gaz à effet de serre qui seront "inclus" dans les produits que nous achèterons ensuite : en France, 15 % de la consommation d'énergie de l'industrie est le fait des industries agroalimentaires. Ensuite ces produits sont généralement emballés. Il se trouve que la fabrication d'emballages consomme une fraction significative des matériaux "de base" que nous produisons (acier, aluminium, plastiques, etc.). Tous usages confondus, cette production de matériaux de base est responsable de 70 à 80 % des émissions de l'industrie, avec donc une partie de cet ensemble qui se retrouvera dans ce que nous achetons au supermarché ».    Nous gâchons énormément de nourriture    Et surtout, c’est évident, arrêtons de gaspiller. Rappelons que la FAO nous dit que nous gâchons à peu près le tiers de la récolte mondiale de nourriture, soit 1,3 milliard de tonnes chaque année, l’équivalent de 990 milliards de dollars en valeur monétaire. Que doit-on en penser, en cette période de crise au niveau mondial et alors qu'il reste encore plus de 800 millions de personnes qui ont faim ? Tentons de prendre la mesure du problème. Tout d'abord, un chiffre de base : nous introduisons chacun 1 tonne d'aliments dans notre bouche chaque année, soit approximativement 600 kg de liquide et 400 kg de solide. Mais en parallèle à ces 400 kg de nourriture ingérée (un peu plus d'un kilo par jour), on en jette (environ) 240 kg ! Cette énorme quantité de déchets se divise en trois parties égales :  Le premier tiers est jeté à la ferme ou dans les opérations de transport, et ne rentre même pas dans les statistiques officielles : si une carotte rencontre un caillou en poussant, elle devient tordue, et elle est jetée puisque l’on suppose que le consommateur en veut des droites ; les melons trop gros ou trop petits sont également écartés puisqu'il en faut des « calibrés » ; les pommes sur lesquelles un insecte a fait une tache, ou les cerises entamées par une pie, sont abandonnées sous les arbres puisqu’il faut des fruits parfaits. On estime que dans les pays industrialisés, le calibrage imposé par les distributeurs génère près de 20 % de pertes. Notons au passage que fidèle à la maxime « lorsqu'on achète un produit, on achète le monde qui va avec », le consommateur qui, au supermarché, choisit une par une ses pommes, mais aussi ses prunes et même ses cerises, ne se rend pas compte que d'une part il provoque en amont une véritable épuration de tous les fruits qui ne sont pas d'apparence parfaite, mais aussi qu’il incite le producteur à multiplier ses doses d'insecticides puisque le moindre insecte qui se pose sur le fruit risque de signer son éviction des circuits. Autre exemple, le poisson : lorsque les chalutiers industriels jettent leurs immenses chaluts pour racler le fond de la mer, ils remontent tout ce qui s'y trouve, et donc ils sont amenés à en jeter une bonne partie : les poissons trop petits, trop gros, ceux dont la pêche est interdite, ou qui ne trouveront pas preneur sur le marché. La plupart ne survivront pas à ce traitement de choc. En 2003, l'Académie des sciences estimait qu'au niveau mondial, le poids des rejets de la pêche s'élevait entre 16 et 40 millions de tonnes, soit entre 20 et 50 % des quantités débarquées. Mentionnons également les transports, qui donnent lieu à une multitude de chocs fatals pour des produits périssables. Au total, on peut estimer à une centaine de kilos par Français ce premier gâchis que personne ne voit, puisqu'il n'atteint même pas les lieux de vente.  Le deuxième tiers est gâché au stade de l'industrialisation et de la commercialisation. Les usines agro-industrielles travaillent avec des cadences impressionnantes, et, dès qu'apparaît le moindre problème sur les chaînes de fabrication, on est amené à se débarrasser de la production sortie entre le début du problème et le moment on s'en aperçoit ; ce sont donc des tonnes de pain de mie qui ne sont pas parfaitement carrés, de pizzas tordues ou de fish fingers arrondis qui partent à la benne !  Viennent alors effectivement les supermarchés, objet de la récente attention des pouvoirs publics : imaginons-en un qui fait rentrer une grosse quantité de brochettes à la veille d'un week-end du mois de juillet où il se met à pleuvoir ; le lundi, il est bien obligé de soustraire les brochettes qui n'ont pas fini en barbecue de ses rayons. Nous participons largement à ce scandale car depuis que nous sommes rassasiés, nous sommes devenus des obsédés de la date limite de consommation (qui n'a pas été chercher le pack de yaourts tout au fond du rayon, pour gagner quelques jours sur la date ?). Et, bien entendu, chacun se protège par peur des procès et on jette une quantité impressionnante de produits laitiers ou de plats cuisinés qui n'ont pas trouvé preneur à quelques jours de la date limite de consommation. Sans oublier le pain, puisque personne n'achète plus de pain de la veille, ou les filets d’oranges ou d’oignons dont un des éléments est pourri… Au total, tout cela représente autour de 80 kg par personne et par an, et il sera intéressant de voir ici quelques années l'effet réel et concret des nouvelles mesures anti-gaspillage.  Le troisième tiers est celui qui est le plus proche de nous, à la consommation. À commencer par le gâchis dans les restaurants, puisqu'il est dorénavant hors de question d'y accommoder les restes. On jette ainsi de façon totalement inconsidérée dans les hôpitaux, les restaurants d’entreprise, les cantines scolaires, etc. Les producteurs de cochons n’ont plus le droit depuis bien longtemps d'aller faire la sortie des cantines des collèges et lycées pour récupérer les restes de salsifis ou de choux de Bruxelles que nos adolescents refusent de manger (alors que c'est encore ce qui se passe en plein centre de Pékin ou de Shanghai…). Cela représente au moins 40 kg par personne et par an.  Et puis on jette également à domicile autour de 40 kg, soit, mine de rien, plus de 400 € par personne et par an. Déjà 7 kg d'aliments non déballés, dont on se débarrasse alors qu’ils sont encore dans leurs emballages d'origine. Citons par exemple les yaourts, que les fabricants tentent de nous vendre par lots de 16, 8 ou au minimum 4. Mais dans notre pays, lorsqu'on achète 4 yaourts, on n'en mange que 3 ; pour le quatrième, on est parti en week-end et la date était dépassée, donc il finit à la poubelle. Chacun peut d'ailleurs faire pour lui-même à tout moment l’inventaire de son réfrigérateur, la machine dans laquelle on met beaucoup d'énergie pour stocker toute la semaine ce qu'on jettera le dimanche soir ou la veille du départ en vacances… Ensuite, on jette une dizaine de kilos de fruits et légumes passés, à peu près autant de restes de produits animaux, viandes et laitages qui atteignent la date de péremption, beaucoup de pain rassis (qui mange encore le célèbre « pain perdu » de notre enfance ?), etc. Sur ces 40 kg jetés par personne et par an, dix sont peu visibles car ils finissent dans les égouts ou les composts qui se multiplient, mais il en reste encore une trentaine dans les vraies poubelles municipales. On va dire pudiquement que nous avons en France… de larges marges de progrès ; le fait qu’il y ait des pays encore pire (par exemple les USA) ne doit pas nous dédouaner. Mais il faudra une véritable révolution dans les têtes, et les efforts considérables à tous les niveaux que nous puissions réellement progresser.   Gâchis du Sud et gâchis du Nord   Enfin, il ne faut pas confondre le gâchis du Sud et le gâchis du Nord. Au Sud, on perd essentiellement à la récolte, faute d'équipements de stockage et de transport adéquats. Lorsqu'on n'a pas de silos pour stocker son grain ou ses fruits et légumes, surtout dans les pays chauds et humides où tout pourrit très vite (et a fortiori de tanks à lait réfrigérés pour stocker son lait), on est obligé de devenir partageux : une partie de la récolte pour les rats, d’autres pour les moisissures, le vent, les oiseaux, les voleurs, etc. À la fin, il en reste peu puisqu’on a perdu en moyenne au moins un tiers de ce qui nous avait tant coûté de produire. Notons par exemple que jusqu'à présent, l’Afrique dans sa globalité a toujours produit assez de nourriture pour nourrir les Africains. Mais que faute de silos, de camions et de routes, il n'a jamais été possible de nourrir les zones de pénurie ou de famine avec les excédents produits dans d'autres régions… Si nous sommes conséquents avec nous-mêmes, soutenons en Afrique de grands programmes de construction de silos et de tanks à lait réfrigérés à énergie solaire. Si on compte absolument tout (y compris l’énergie dépensée dans nos plaques chauffantes, fours, réfrigérateurs, congélateurs, lave-vaisselle et autres équipements électro-ménager), on peut donc estimer que c’est environ le tiers des émissions de gaz à effet de serre de notre pays qui est lié à notre alimentation. Au sens propre, nous avalons du gaz et du pétrole, et nous recrachons du gaz à effet de serre. Alors, que pouvons-nous faire ? Manger moins de viande, mais que de la bonne, produite localement, et en acceptant de la payer plus cher pour que les éleveurs puissent en vivre, ce qui au final nous coûtera moins cher ! Pas de trop grosses portions, pas plus d’une fois par jour, pas tous les jours de la semaine… il ne s’agit pas de devenir végétariens (même si rien ne l’empêche, mais si on le devient, c’est pour d’autres raisons), mais simplement… d’être moins déraisonnables ! Bref, faire pour la viande ce que nous avons fait au cours des 50 dernières années pour le vin : la consommation par tête est passée de 140 à 40 litres par an, mais on ne consomme plus que du bon vin, nettement plus cher. Et les viticulteurs ont complètement changé de pratique, mais ils sont toujours là ! Et, pour les végétaux, manger des produits frais, locaux et de saison ! Et surtout moins gâcher, beaucoup moins !    À lire :  Réchauffement climatique : l'agriculture victime, cause et… solution (Paris Dépêches, le 28 octobre 2015) Réchauffement climatique (II) : la pêche en grave danger (Paris Dépêches, le 4 novembre 2015) Réchauffement climatique (III) : l'agriculture des pays tropicaux fortement menacée (Paris Dépêches, le 10 novembre 2015) À venir : Réchauffement climatique (V) : l'agriculture peut aussi apporter des solutions (Paris Dépêches, le 25 novembre 2015))