France Culture

Rebelles, un peu de Claire Castillon

Publié le  Par Pascal Hébert

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Jean-François Paga

Avec son recueil de nouvelles, Les Messieurs, Claire Castillon nous avait montré l’an passé l’étendue de son talent. Au sommet de son art, dans une discipline aussi complexe que les nouvelles, Claire Castillon nous renvoie la balle cette année avec un autre recueil… tout aussi coloré et piquant à la fois. Dire que Claire Castillon manie la langue avec brio ne suffit pas. Une fois de plus, dans cette série de nouvelles, la romancière va au-delà des mots pour créer sa propre langue. L’arme fatale des écrivains, dignes de ce nom ! Au fil du temps, celle qui aurait pu rester un phénomène de mode, devient une référence. Que l’on aime ou pas son œuvre, il n’en demeure pas moins vrai que la musique qu’elle distille dans ses mots n’appartient qu’à elle. Les mots qui sortent de son cerveau éclairent des phrases aussi fortes et souples que des lianes. Claire Castillon est un grand écrivain… on ne le dira jamais assez !

Après "Les Messieurs", l’un de ses sujets de prédilection, Claire Castillon s’en est allé visiter le monde des adolescents. Un monde bien fermé et qui s’ouvre miraculeusement sous le stylo de l’auteure. Lorsque Claire Castillon s’empare d’un sujet, elle le dissèque à volonté, ne s’embarrassant d’aucune fioriture. Là encore, tout y passe. L’amour, bien sûr, les relations entre ados (à lire absolument le sublime Le populaire), les rapports avec les garçons et les copines. Et puis cerise sur le gâteau, de formidables chocs entre les adolescentes et leur mère. Sublime !

"Rebelles, un peu", de Claire Castillon, est à lire et relire pour voir le monde de l’adolescence sous un autre jour. Et pourquoi pas… pour mieux le comprendre. Mais il faut aussi lire Claire Castillon pour son écriture. Un régal !

Qu’est-ce qui vous a donné cette envie de parler des adolescents ?

Quelques sensations d’adolescente encore là. Quelques images d’adolescents croisés par ci par là. La présence d’une multitude de voix. Une fois encore, le ton, les songes en boucle, leur tête, leur allure, leur odeur, leur impossibilité à sortir de la boucle sauf  à entrer dans la ronde des autres. Parfois je me dis qu’un adolescent solitaire doit énormément souffrir de son incapacité à appartenir à un groupe. Cela aussi, c’était un thème qui me plaisait.

Vous sentez-vous proche des adolescents ?

Très. Mais je me lave les cheveux régulièrement et je marche plus vite qu’eux ! Et l’hiver, je porte un manteau.

A nous adultes, que nous racontent-ils ?

Les adolescents contiennent beaucoup de nos souvenirs. On a tendance à l’oublier. On a généralement fait toutes les bêtises qui nous font si peur quand on imagine les adolescents qu’on aime les faire à leur tour. Il s’agit peut-être de leur faire confiance. Un peu. Ils nous racontent aussi l’extase de la séparation. Ce moment inouï quand soudain on est seul à la maison et qu’au lieu d’avoir peur on se dit Waou, c’est ça la vie.

« Le temps est si long quand on est petits »

Comment percevez-vous ce monde des ados ?

Il faudrait imaginer une jeune fille qui veut coucher avec quelqu’un pour ne pas être en retard sur ses copines mais planque encore son doudou dans sa valise quand elle part longtemps. Il faudrait imaginer un ado qui se force à traîner avec ses copains le samedi alors qu’il a envie de faire une partie d’échecs avec son père comme avant. C’est compliqué d’être rempli de tiraillements inversés, toutes ces forces à l’oeuvre dedans. Sauf que ça s’appelle le désir. L’important, passé un certain âge, c’est de ne pas essayer d’intégrer leur monde. Les entendre, les regarder, les comprendre, c’est bien. Mais dès qu’on s’approche d’un groupe d’ados à l’œuvre, on dérange. Tout le monde se tait. Alors pour pouvoir les contempler, rien de mieux que l’espionnage !

Le diktat du groupe peut-il faire basculer un ado ?

On dirait qu’il en faut du courage, aujourd’hui, pour oser rien que sa mode à soi. Il faut une vraie force de caractère installée pour dire non au Populaire quand il débarque dans un lycée. De l’humour aussi. De la personnalité. Du charme. Tout ça, rien que ça. Les enfants sensibles, brisés par des regards ou des réflexions sont très nombreux. Le temps est si long quand on est petits. On ne peut pas penser que dans deux, trois, quatre ans, tout ça c’est terminé. Ca prend toute la vie et l’angoisse pour ceux qui sont maltraités n’envisage pas de fin.

Les réseaux sociaux sont-il, à votre avis, bénéfiques dans l’épanouissement des adolescents ?

Je ne les trouve épanouissants pour personne. Je ne les comprends pas. Je ne m’en sers pas. Si j’avais un ado, je ne le lui dirais pas. Mais je le regarderais faire comme les autres, perdre son « lui-même » et son temps dans la masse, au lieu d’aller rêver, marcher, danser, écrire, regarder des films, lire, peindre, jouer d’un instrument, draguer les filles, jouer encore, traîner. Sans béquille. L’image qu’il se donne va le rendre fou. Ou débile. J’ai peur qu’un jour, se croisant dans le miroir, il ne se reconnaisse pas. Ca me fait cet effet là, le réseau social. Mais cette addiction là est intéressante, parce qu’elle est brutale alors qu’on la croit futile. Parce que c’est violent et qu’on la prend pour une mode, un mode de communication. On ne se sent plus s’effacer. Pour se faire, il faut se défaire. Or avec tout ça, on se fabrique. C’est la chirurgie esthétique des neurones. Du cerveau botoxé.

 « Se rebeller, ça devrait être grand, vaste, mais pas limité aux mots»

Le corps est aussi présent dans ce recueil où vous n’éludez pas la première fois pour une jeune fille. On est d’ailleurs davantage dans ‘‘le faire absolument’’. Est-ce que c’est un passage obligé pour faire partie d’un groupe social ?

Social, je ne sais pas. Mais sans doute qu’à un certain moment d’elle-même, une adolescente se dit que c’est maintenant. Il faut y passer. Soit pour être la première. Soit pour ne pas être la dernière.

Même punition avec "Ton corps t’appartient", où l’amour physique doit se transformer en histoires drôles à se remémorer pour plus tard. L’amour physique est-il banalisé chez les ados ?

Rire quand on a peur. L’amour fait peur, puisqu’il est souvent dissocié de l’amour. Ou que s’il est l’amour, il est encore plus gigantesque alors bon. Tout fait peur. Même le banaliser, prendre des airs, faire semblant, ça va avec le reste : jouer. Parce qu’on est encore petit. Vingt ans, trente ans, quarante ans plus tard, ce n’est pas forcément différent. Mes amis très proches ont entre quarante et soixante-dix ans. Quand on se voit, pardon, mais on parle de « ça ». Disons que le chapitre est abordé. Il fait partie du point global. On fait un point, voilà. A priori cette conversation n’a pas d’âge et nous anime toujours autant. On ne banalise pas, on profite. Les mots seraient comme une continuité de la vie ou des souvenirs. Les récits sur  l’amour, sur le sexe, servent d’étayage. En en parlant pas ou en en parlant crument, peut-être que les ados vérifient qu’au delà de ce qui ressemble à une opération à cœur ouvert (ça fait mal ? Y a des séquelles ?) il y a un kif. Mais déjà, la peur, la peur, voilà, la peur c’est bon. Parce qu’on apprend assez vite qu’elle est toujours géniale la rencontre amoureuse, avant. A cause de la peur justement. Et du regard entièrement faussé par elle.

Les adolescents d’aujourd’hui sont ils moins rebelles qu’avant ?

Je ne sais pas. A vrai dire, je les trouve tellement conformistes que je vois peu de rébellion. Si se rebeller c’est trouver ses parents nuls parce qu’ils refusent d’acheter tel téléphone ou tel blouson, en effet, il y a du boulot ! Se rebeller, ça devrait être grand, vaste, mais pas limité aux mots. On se soulève, socialement, politiquement. L’ado rebelle n’a rien d’un révolutionnaire. Je reste dans le clan de ceux qui ont hâte de grandir pour fuir le petit esprit, la grande mesquinerie, la toute petite loi de la cour du collège.

Quel souvenir gardez-vous de votre adolescence ?

J’avais envie d’être grande, d’arriver à l’âge adulte, synonyme de liberté. Très tôt j’ai eu le sentiment qu’en groupe on avait l’air un peu « fadas ». Et surtout, je m’ennuyais. Alors j’errais autrement. En vacances avec une amie, je trouvais mon groupe à moi, et pas celui de l’amie avec laquelle j’étais partie. Généralement je m’acoquinais avec des mecs du coin, plus vieux que ceux de Paris où je vivais. C’est comme ça que j’ai découvert l’opéra. Ou le whisky grenadine. Ils m’emmenaient en zodiac la nuit en pleine mer. J’avais l’impression d’être rebelle. J’avais surtout besoin de relations pleines, à deux. Je me sentais trop vieille déjà, et vraiment pas  à l’aise avec les gens de mon âge. En fait, je trouvais qu’on avait l’air con. Et avoir l’air m’importait sûrement beaucoup.

L’amour prend-il racine avec l’adolescence, Claire Castillon ?

Il fait des feuilles. Il prend racine avant je crois. Ensuite on passe sa vie à faire des feuilles. Jusqu’à ce que quelqu’un nous trouve assez feuillu pour s’abriter dessous. Parfois on perd ses feuilles, une rupture, un choc, une violence, et puis ça repousse. Au début, près du tronc mort, il n’y a pas grand monde, mais quand les feuilles reviennent, la ronde recommence.

Propos recueillis par Pascal Hébert.

Rebelles, un peu de Claire Castillon (L’Olivier). 204 pages. 17 €.

Légende de la photo

Claire Castillon, un monde, un langage à découvrir (photo : Jean-François Paga).

Les piqûres d’Abeille

Avec Claire Castillon... tout est possible

 

Les livres pour la jeunesse ne sont pas tous égaux. Il faut bien le reconnaître. Lorsque Claire Castillon entre dans la danse de la littérature pour nos jeunes têtes brunes et blondes, elle ne retient pas les chevaux. Et c’est tant mieux. Dotée d’une imagination débordante et d’un univers ébouriffant, on peut même dire que la belle s’y donne à cœur joie. Mais attention, le style est toujours là, aussi soigné que sa démesure. Avec Les Piqûres d’Abeille, Claire Castillon met en scène les premiers émois d’un jeune garçon. A quoi bon avoir une amie et une amoureuse se dit Jean qui a trouvé avec Abeille, une fiancée qui dépote. Mélangeant le monde des adultes à celui des enfants, Claire Castillon distille à chaque page son humour et sa vision de deux mondes parallèles. Et c’est bien là l’atout majeur de cette histoire diablement bien mise en scène. Claire Castillon utilise avec brio sa belle écriture pour nous faire entrer dans des personnages aussi croustillants les uns que les autres. Oscillant entre bienveillance, naïveté et un brin de méchanceté, les héros de Claire Castillon que l’on croise sont habités par l’amour. Et les lettres de Jean, destinés à Abeille, sont vraiment craquantes.

‘’Les Piqûres d’abeille’’ est un livre destiné à la jeunesse, mais pas que. J’encourage grandement les adultes à le lire pour entrer dans un univers propre à Claire Castillon. Que diable, ne boudons pas notre plaisir !

Pascal Hébert

Les piqûres, d’Abeille de Claire Castillon aux éditions Flammarion Jeunesse. 151 pages. 14 €.

 







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