France Culture

Les oiseaux du Bronx, de Gilles Bornais

Publié le  Par Pascal Hébert

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A peine le dernier épisode de l’excellent inspecteur Joe Hackney, dans "Le Tartan noir", vient-il de sortir que Gilles Bornais nous dégaine un nouveau roman contemporain. Après les brumes de l’Angleterre et de l’Écosse, le romancier nous emmène au cœur de l’appareil judiciaire des États-Unis à New York City. Dans "Les oiseaux du Bronx", ce sont les avocats, autorisés à enquêter aux States, qui sont les vedettes d’un roman à la fois policier, environnemental et sociétal.

L’affaire aurait été simple si l’auteur nous avait immergé dans un cabinet spécialisé dans les dossiers criminels. Mais avec la malice qui le caractérise, Gilles Bornais a préféré nous faire suivre June Mitchell, une avocate d’affaires spécialisée dans l’environnement. Avec les nouvelles lois de Trump, elle travaille pour des sociétés charbonnières spécialisées dans l’extraction, à ciel ouvert et donc très polluante. Même s’ils sont choqués par le cynisme de ces patrons sans scrupule, June et ses conseillers répondent avec professionnalisme aux demandes de leurs clients régnant dans un univers où l’argent est roi. June a le profil de la femme divorcée réussissant bien dans le monde des affaires. A côté, sa vie est un naufrage notamment avec sa fille Karyn, une ado plutôt rebelle, perdue entre le côté soixante-huitard de son père et l’exigence de sa mère pour ses études. Côté sentimental, cette femme de 51 ans est au creux de la vague avec son lot de désillusions sur les hommes au point de ne plus attendre le prince charmant... souvent écarté par le vilain mari.


Sans doute pour se donner bonne conscience ou valoriser leur image, les cabinets d’avocats acceptent des missions pro bono autrement dit : pour le bien public. Dans ce cadre bénévole, June se voit confier un dossier de demande de grâce pour un détenu originaire du Bronx, condamné à 27 ans de prison pour le viol et l’agression de son ex-petite amie. Peu encline à défendre l’auteur d’un viol, purgeant sa peine depuis 16 ans, l’avocate est poussée par Nicholas, l’un de ses jeunes collaborateurs, intrigué par la lourdeur de la peine. Entre l’étude de ses dossiers pour les pollueurs des États-Unis, une vie compliquée, June est interpellée par les zones d’ombre d’une affaire plus complexe avec un condamné insaisissable. Plaidant non coupable et ne cherchant pas à se défendre, Maurice Da-Jon a tout fait pour contrarier le jury qui lui a infligé une peine de prison supérieure à la moyenne pour un tel crime. Avec une belle habileté, Gilles Bornais nous fait suivre pas à pas l’enquête menée par June et Nicholas pour tenter de comprendre l’attitude de Maurice Da-Jon et révéler au grand public les éléments qu’il a cachés lors de son procès.


Dans ce roman, Gilles Bornais met en avant le fonctionnement des États-Unis en partant de cas individuels. L’argent, le chantage à l’emploi, la condition sociale, la couleur de peau, la justice, les familles éclatées et la réussite dans une Amérique, loin d’être exemplaire, sont abordés avec l’œil du journaliste. Autant d’atouts qui font des "Oiseaux du Bronx" une analyse spectrale de l’influence de l’argent et du pouvoir sur la vie des citoyens.

 

Pascal Hébert

"Les oiseaux du Bronx", de Gilles Bornais aux éditions Blachlephant. 384 pages.18,90 euros.
 

 


Interview
 

Gilles Bornais
« Le lecteur ne sera pas toujours brossé dans le sens de ses préjugés… »

 

Après la France et le brouillard de Londres, on te retrouve aux États-Unis. Comment as-tu trouvé l’idée du pro bono ?

J’avais lu un article qui en parlait, il disait que cette pratique s’était répandue aux États-Unis. Peu après, à l’occasion d’un séjour à New-York, j’ai eu l’occasion d’en reparler avec un ancien procureur et j’ai trouvé que ce serait un excellent sujet de roman.


Explique-nous ce qu’est le pro bono ?


Ce sont des prestations à but humanitaire ou social que réalisent des avocats. Ces missions ne sont pas facturées au client. Ces clients n’auraient d’ailleurs pas les moyens de s’offrir ces services. Le plus souvent les avocats font cela à côté de leur travail principal.


Pourquoi les cabinets d’avocats acceptent-ils les pro bono aux États-Unis ?


Quand j’ai posé la question, on m’a répondu qu’ils considéraient cela comme un devoir éthique. Avec le pro bono, ils reviennent au fondement du métier d’avocat, qui est d’assister tout citoyen quelle que soit sa condition. Un avocat m’a également dit que le pro bono leur permettait de trouver un équilibre dans l’exercice de leur métier. D’un côté, il vont se passionner pour leurs missions d’avocats d’affaires, mais, en plus, ils auront l’occasion de défendre des petits commerçants ne connaissant pas les lois fiscales du pays, des immigrés ne parlant pas l’anglais, des accusés sans ressources, etc.


Pour ce roman, as-tu eu besoin de te rendre sur place ?


Oui, comme pour tous mes romans. J’aime aller où ça se passe. J’ai effectué plusieurs séjours assez longs à New-York. En fait c’est de séjourner là-bas qui m’a convaincu de me lancer dans ce roman.


Dans ce livre, il est beaucoup question d’Environnement. Les Américains sont-ils, à ton avis, sensibilisés au changement climatique ?

 

Les démocrates s’en soucient plus, la plupart des républicains opposent la défense de l’environnement au développement économique et donc à l’emploi. Sur ce que j’ai pu entendre et lire là-bas, on parle globalement moins du climat qu’en France. Aussi, parce que c’est un grand pays où, à côté des grandes métropoles, la nature conserve une grande place et paraît peut-être de taille à résister à tout…


Les conditions de vie de tes personnages balaient large entre une avocate confortable au plan financier et des petites gens que l’on croise au fil de la lecture. Leur humanité transparaît sans masque. June, par exemple, n’est pas très à l’aise avec ses clients pollueurs. J’ai l’impression que tu les utilises pour dire ce tu penses..


Ma sensibilité doit forcément transpirer, et je suis bien sûr que dans certaines situations (avec sa fille, comme avec les pollueurs) je réagirais comme elle. Mais le plus intéressant, à mon avis, c’est de montrer la diversité des « Américains », telle qu’un Américain le ferait lui-même. C’est-à-dire assez loin de ce que peuvent en dire pas mal d’observateurs français qui analysent la situation et les comportements de là-bas avec des a priori très français, voire très parisiens. J’ai essayé de ne pas être manichéen, je n’explique pas (ce n’est pas un roman à thèse), je montre, et chaque lecteur interprète comme il l’entend. Des Américains ont relu ce livre, dès que mes idées préconçues de Français apparaissaient au point de déformer ou d’interpréter la réalité que je décrivais, ils me le disaient et je corrigeais. Le lecteur ne sera pas toujours brossé dans le sens de ses préjugés…

 

La dynamique entre l’avocate installée et le jeune collaborateur désireux de trouver la vérité sur la condamnation de Maurice Da-Jon fonctionne merveilleusement bien. La psychologie de tes personnages devient-elle pour toi plus prépondérante ?

Les personnages sont le point de départ du livre. Je les bâtis, avec un caractère, une vie, des regrets, des espoirs, ensuite ce sont eux qui écrivent l’histoire. Dans ce roman, l’histoire est soumise au personnage, et non l’inverse.

 

Tu nous montres bien le fonctionnement de la justice américaine qui repose sur l’argent. On a plus de chance de s’en sortir avec les meilleurs avocats… donc les plus chers. Quel regard portes-tu sur ce type de justice ?


Le regard d’un Français qui évidemment va juger cela… injuste. Pas mal de juge sont élus, ils cherchent donc plus à être populaires qu’à être justes. Pour nous, c’est choquant. L’argent peut faire de vous un innocent, ou au moins une femme ou un homme libre. D’où l’intérêt du pro bono.

 


La justice française n’est pas exempte de tout reproche, mais n’est-elle pas plus équitable que celle des États-Unis ?


Elle est loin d’être parfaite, et on peut lui adresser pas mal de reproches, mais elle se marchande moins.


Comment analyses-tu la condition des noirs aujourd’hui aux États-Unis ?

 

Je vais enfoncer des portes ouvertes en disant que c’est, avec la dureté de la vie là-bas, la « maladie » ce grand pays. Le Nord s’en sort moins mal, mais le racisme est encore incroyablement présent dans les états du Sud. Le père de June, l’héroïne, n’est pas une caricature, il existe, je l’ai rencontré…


Propos recueillis par Pascal Hébert







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