Monde Politique

La révolution en Ukraine : un nouveau-né très fragile

Publié le  Par Patrick Béguier

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Flickr de Lubomyr Salamakha

En quelques jours, l'Ukraine a basculé, espère-t-on, dans une authentique démocratie. Mais le nouveau-né est fragile. Tout le monde ne se penche pas au-dessus de son berceau le regard attendri, et sa famille pourrait vite se diviser sur la façon de l'élever. Par Patrick Béguier

 
 
 
 
 
Le président Ianoukovitch destitué, la pasionaria Timochenko libérée, la Rada au travail pour légiférer, la date des élections anticipées fixée, Maïdan dans le calme et le recueillement pour ses "héros"… Les bonnes nouvelles se sont accumulées après la déclaration de naissance, mais beaucoup de questions se posent et de fortes craintes se font jour.
 
D'abord, Viktor Ianoukovitch est toujours là ! On ne sait pas trop où, mais il est là. Il s'estime victime d'un "coup d'Etat", dénonce des actes de "banditisme" en arguant du non-respect de l'accord politique qu'il avait signé avec l'opposition. Il s'est réfugié dans son fief : les régions de l'est du pays, russophones et qui, contrairement à celles situées à l'ouest, sont majoritairement hostiles aux événements de Kiev et aux décisions de la Rada. Une action contre-révolutionnaire est fort peu probable même si en Crimée se sont constituées des milices, mais apparaissent d'ores et déjà des velléités de séparatisme, pudiquement habillées de fédéralisme. Que deviendrait une Ukraine coupée en deux ? La séparation pourrait être mortelle pour un pays au bord de la faillite économique. 
 

Sébastopol

 
Moscou aussi est toujours là et les JO de Sotchi son finis ! La réserve diplomatique qu'imposaient les Jeux n'est plus nécessaire. Les Russes protestent contre une "atteinte à la souveraineté" de l'Ukraine. S'ils n'ont guère d'estime pour Ianoukovitch (figure d'un pouvoir "sur lequel on s'essuie les pieds", a déclaré leur premier ministre, Dmitri Medvedev), ils sont furieux de la tournure prise par les événements. Et comment peut-on imaginer une seconde que Vladimir Poutine va laisser partir l'ex-"pays frère" vers d'autres horizons que le sien, alors qu'il a besoin d'une ouverture sur la Mer Noire. N'oublions pas que Sébastopol est une base navale… russe. Quand la stratégie militaire et l'intérêt supérieur d'une nation débarquent dans une analyse politique, la situation devient automatiquement ultra sensible, voire explosive.
 
En réalité, Moscou va tenter de jouer sur le registre économique et financier. La Russie est le principal partenaire commercial de l'Ukraine et il serait dangereux de casser de telles relations pour ne regarder que de l'autre côté. Que peut l'Europe, en effet ? Que peuvent ses millions face aux milliards promis (mais pour l'instant gelés) par Poutine ? Quel secours peut apporter un conglomérat de pays plus ou moins en crise, fatigués par le sauvetage de l'euro,  comparativement à un bloc aux visées impériales à peine déguisées et capable d'ouvrir instantanément ses coffres ?
 

L'étendard sanglant

 
 
Il est clair aussi que les chamboulements attendus dans les différentes sphères du pouvoir vont aiguiser les appétits. On ne sait pas encore quelles sont les véritables ambitions de la "revenante". Après son long cri de douleur à la tribune de Maïdan, que prépare Ioulia Timochenko ? A-t-elle vraiment les moyens de revenir au sommet de la vie politique de son pays ? Vu d'ici, on est tenté de le croire. Vu de l'intérieur de l'Ukraine, c'est beaucoup moins évident. Beaucoup d'Ukrainiens n'oublient pas les erreurs, les compromissions, de la pasionaria. Elle appartient au passé selon eux. La "Révolution orange", c'est déjà loin (2004) et ils veulent un personnel politique renouvelé, plus jeune, capable de s'extraire de la corruption et qui ne rêve pas d'habiter, comme Viktor Ianoukovitch, dans de somptueux palais. Des purs ! Il en va ainsi dans les révolutions : le peuple brandit la morale après avoir replié l'étendard sanglant.
De toute façon, Ioulia Timochenko, visiblement malade, fatiguée par l'épreuve de sa détention, et bien qu'ayant d'ores et déjà certains de ses proches à des postes-clés (Oleksandr Tourtchinov, notamment, devenu président par intérim), verra se lever devant elle les personnalités politiques qui ont directement conduit le mouvement révolutionnaire. Le champion de boxe Vitali klitschko ne va pas raccrocher les gants de sitôt et le nationaliste Oleh Tiahnybok, dont les partisans ont été en première ligne sur les barricades, ne va pas brutalement déposer les armes.
 
La course à la présidentielle du 25 mai est déjà lancée. Les 46 millions d'Ukrainiens ne sont pas au bout de leurs surprises. Tout est encore possible. Le pire peut succéder à l'espoir du meilleur.
 
Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Il est le conseiller éditorial de Paris Dépêches.
 






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