France Culture

Claire Castillon et Les Messieurs : au sommet de son art

Publié le  Par Pascal Hébert

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Jean-François Paga

Elle est intarissable ! Claire Castillon continue inlassablement son petit bonhomme de chemin dans le milieu de la littérature.

Le monde change mais Claire Castillon reste elle-même. Elle porte sur notre drôle de vie un regard aiguisé. Elle fait partie de ces rares écrivains, qui créent une œuvre à part entière sans jamais dévier de leur route. Que ce soit dans le roman ou dans les nouvelles, la belle aurait plutôt tendance à éveiller nos sens avec ses mots qui font apparaître des histoires où tout est vu de l’intérieur. Si elle sait être marathonienne dans la force du roman, elle excelle vraiment dans l’exercice périlleux des nouvelles. On connaissait Insecte et On n’empêche pas un petit cœur d’aimer, mais avec Les Messieurs, Claire Castillon nous montre que c’est une véritable sprinteuse de la littérature. Les idées fusent à la vitesse de la lumière. Et ces 21 nouvelles, qu’elle nous sert sur un plateau, sont d’une force surprenante, supérieure, dans la construction et sur le fond. Si les rapports avec la mère ont fait grincer des dents avec Insecte, ceux qu’elle nous montre entre les jeunes filles et des hommes plus âgés ne manquent pas de sel. Les femmes que nous décrit Claire Castillon ne sont pas aussi innocentes qu’elle voudrait bien nous le faire croire. Et ces vieux messieurs, ne sont pas aussi pervers qu’on pourrait l’imaginer. C’est toute la force et la magie de l’écriture de Claire Castillon, qui nous étonne à chaque publication. La diablesse joue avec notre imaginaire et nos fantasmes pour mieux s’installer dans nos esprits au-delà de toute provocation. Le chemin est pourtant pavé de pièges que Claire Castillon évite à chaque ligne pour nous montrer qu’elle est pleine de bonnes intentions. C’est beau, c’est fort. Le style est aussi envoûtant que son souffle qui nous réchauffe. Avec Les Messieurs, Claire Castillon, au regard innocent, est au sommet de son art !


Après les couples, on vous retrouve dans un autre exercice toujours en rapport avec les hommes et les femmes. Des jeunes filles, cette fois-ci, sont mises en scène avec des messieurs. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer sur ce chemin ?

J'avance comme en randonnée. Il y a les sentiers balisés et les autres. Ceux qui m'inspirent ont une couleur, une déclivité, un sommet en vue... Ils peuvent faire peur. J'y vais. Si vous voyez un animal sauvage, au loin, en liberté, vous avez envie de vous en approcher, non ?

 

Comme définiriez-vous les jeunes filles qui peuplent ces nouvelles ?

Jeunes filles ou jeunes femmes, elles sont amoureuses, et elles veulent être aimées. Elles veulent incarner le soleil, le tout, l'absolu pour leur "vieil homme". Elles refusent que ces hommes là soient revenus de tout. Elles ont envie de les faire renaître, de leur réinjecter la vie. Mais cette motivation est un fantasme. Au fond, ces filles ne savent souvent pas ce qu'elles font là. Mais elles sont heureuses d'y être et ne céderaient leur place pour rien au monde. Elles caressent un peu la mort aussi. J’imagine qu’elles l'apprivoisent. 

 

Un jeu surprenant semble s’installer entre les filles et les hommes...

Ce qui m'amuse, ce sont les efforts que ces filles fournissent pour plaire à leur homme  au point de ressembler le moins possible à elles-mêmes. Ce qu'elles veulent, ces Belles, c'est amadouer les bêtes et les laisser mourir. Mais elles ne le savent pas. Au début, elles les veulent comme des chiots dans une vitrine. Après, elles les saccagent. Parce qu’elles leur en veulent d'être vieux. Puis elles leur en veulent d'avoir profité d'elles. On sait bien que les jeunes filles en veulent à la terre entière de toute façon. 

 

« L’amour m’a toujours fait écrire »

Comment voyez-vous ces messieurs que vous nous décrivez ?

Je les sens. Je ne les vois pas toujours, mais je les sais. Je suis un vieux au fond. Ils sont à l'aise et empêtrés, cardiaques et sportifs. Amoureux et apeurés. Lâches et extravagants. Ils sont marrants je crois. Ils connaissent Ferré par cœur et c'est  même pour ça que ces jeunes femmes les aiment mais ils s'adonnent à une autre musique, parfois, tentent un saut de génération. Et c'est alors qu'elles les méprisent.
 

Est-ce que la différence d’âge est un handicap pour aimer ?

Quand on aime, on aime. Mon mari me dit toujours qu'en amour on y va, ou on n'y va pas. Alors les peut-être, les Et si, les Hélas, on les laisse en bas du chemin et on grimpe !

 

Vous-même, avez-vous vécu une expérience de ce type, si oui, qu’en avez-vous retiré ?

Ah ! Ces messieurs sont- ils mes cieux ? Si c'est le cas, j'en ai retiré des étoiles. Et pas seulement sous forme d'anis étoilé dans le poulet ( cf "Dépose- minute"). L'amour m'a toujours fait écrire. 

 

« Je suis plutôt un chien fidèle »


Que vont rechercher les jeunes filles dans l’amour d’un homme beaucoup plus âgé ?

Il faudrait demander à chaque jeune femme ce qu'elle trouve chez l'homme qu'elle aime. Certaines vous parleraient de regard, d'autres de compréhension, de panache, d'aura, de mystère, de culture,  d'autres vous parleraient de sexe : on s'y prend avec plus de soi à 53 qu'à 17, non ?

 

Dans certaines de ces nouvelles, les hommes sont mariés. Comment percevez-vous la position de ces jeunes filles qui vivent un amour partagé ?

J'imagine qu'elles cherchent une mère. Le dialogue continu avec la femme de l'autre, obsédante, jalousée, le délire développé autour d'une femme qui sait souvent que son homme aime ailleurs et en souffre, ou s'en fout d'ailleurs, ressemble à une crise livrée contre sa propre mère. 

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans ce sujet ?

 Un retour sur investissement j'imagine ! Je n'ai pas regardé tous ces gens-là seulement pour me torturer les entrailles. Peut être ai-je sublimé une scène : je me souviens d'un restaurant, un jour, et d'une jeune femme à peine majeure caressant la main d'un vieux... Ils avaient l'air tellement heureux et tellement mal à l'aise. Ils avaient tout et il leur manquait autant. C'était beau et c'était triste. C'était comme un roman.

 

Préférez-vous écrire un roman ou des nouvelles ?

Tout dépend de l'idée, de l'énergie, du départ. Je ne sais jamais ce qui arrive. En ce moment, j'écris des nouvelles parce que je suis sur ce rythme là. Tout dépend des voix aussi. De leur nombre. Quand la foule arrive, je me dis que le recueil a sa place.

 

Etes-vous une provocatrice, Claire Castillon ?

En fait, je ne sais même pas ce que c'est. Je suis plutôt un chien fidèle. 

 

Propos recueillis par Pascal Hébert.
 

Les Messieurs, de Claire Castillon (L’Olivier). 164 pages. 16,50 €.


Claire Castillon en bref


Claire Castillon a débuté en littérature avec Le Grenier en 2000.

Spécialiste des nouvelles, elle a publié Insectes suivi de On ne peut pas empêcher un petit cœur d’aimer qui ont remporté un vif succès.

Son dernier livre : Les Pêchers (L’Olivier).

Claire Castillon vit à Paris et dans son refuge dans le Sud.


Légende de la photo : Claire Castillon, un univers désarmant et si attachant dans ses livres (photo Jean-François Paga).







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