France Culture

Double-cœur, d’Alexandre Jardin

Publié le  Par Pascal Hébert

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Ionis

« Le long du fleuve qui remonte, Par les rives de la rencontre, Aux sources d'émerveillement ». Alexandre Jardin est un drôle de zèbre, on le savait ! Il nous l’a prouvé maintes fois. Lorsque ce citoyen, pas comme les autres, part à la découverte de l’amour flamboyant, il voit « dans le jour qui se lève, S'ouvrir tout un pays de rêve, Le tendre pays des amants », celui des Double-cœurs, qui occupent tout l’espace de son dernier roman.

Qui sont ces double-cœurs ? Une confrérie assez mystérieuse, qui a pris comme gourou une certaine Madeleine Lévy. Rescapée des camps nazis, Madeleine Lévy a écrit un petit opus de quelques pages appelant ceux qui le liront à mettre l’amour au cœur de leur existence. L’amour fou, l’amour passion. Un amour dont les frontières volent en éclat devant cette envie folle de le réinventer au quotidien : « On part avec le cœur qui tremble, Du bonheur de partir ensemble, Sans savoir ce qui nous attend, Ainsi commence le voyage, Semé d'écueils et de mirages, De l'amour et de ses tourments ».

Dans ce livre, Alexandre Jardin en appelle à son double. Un dénommé Alexandre Bulle, le jeune homme qu’il aurait pu être à 27 ans. Se lassant d’une relation tiède avec une Eglantine qui a transformé la princesse charmante en femme mariée, Alexandre découvre par le biais d’un éditeur la Carte de tendre. Un document établi il y a bien longtemps pour y définir une carte allégorique de l’amour avec ses trois rivières : « Plus loin le courant vous emporte, Vers les rochers de la discorde, Et du mal à se supporter, Enfin la terre se dénude, C'est le désert de l'habitude, L'ennui y a tout dévasté. »

Le jardin où l'on peut s'étendre

Comme dans une société secrète, les double-cœurs se cherchent et se trouvent sur les réseaux sociaux. Ils ont leur code, leur langue : « Tous savent qu'amour et passion peuvent être synonymes, et que ces deux mots ne furent scindés que par des égarés. Ils s'autorisent l'extravagance, la fantaisie et le merveilleux. La tendresse illimitée est leur but » explique d’ailleurs Alexandre Jardin. Enonçant les différentes règles qui régissent ces double-cœurs, Alexandre Bulle ne tarde pas à en vérifier le pouvoir en se manifestant sur les réseaux sociaux pour harponner une éternelle Albertine de roman. Trois visages le fouettent. Vers quelle femme se diriger ? Il choisit finalement Madeleine, la littéraire qui l’entraîne dans un jeu de mots (maux) pour mieux l’envoûter et le mettre au défi. Dans ce jeu de la séduction, Alexandre est prêt à rebattre chaque jour les cartes mais il sent pointer à l’horizon la flamme de la jalousie. Car Madeleine est une belle intrigante qui s’offre à celui qui répond à toutes ses conditions : « Quand la route paraît trop longue, Il y a l'escale du mensonge,
L'auberge de la jalousie, On y déjeune de rancune, Et l'on s'enivre d'amertume, L'orgueil vous y tient compagnie, Mais quand tout semble à la dérive, Le fleuve roule son eau vive, Et l'on repart à l'infini
Où l'on découvre au bord du Tendre, Le jardin où l'on peut s'étendre, La terre promise de l'oubli.
 »

Pascal Hébert avec Georges Moustaki pour les vers en italique de La carte du tendre.

Double-cœur d’Alexandre Jardin. Editions Grasset.  247 pages.  19, 50 euros.

Interview :

« Je veux que la littérature irrigue la vie et que cela se traduise par des actes »

Alexandre, qui se cache derrière les double-cœurs ?

Ce sont des gens qui font de l’amour une création et qui refusent le déclin de la passion. Ils sont dans l’invention d’eux-mêmes. Invention sans laquelle il est strictement impossible d’accéder à une passion permanente.

Dans ce livre, le réel et l’imaginaire se côtoient sans frontière avec ton double, Alexandre Bulle, âgé de 27 ans. Comment le regardes-tu ?

Je me dis qu’il a fondamentalement raison. Pendant très longtemps, j’ai dérogé à mes propres rêves. J’écrivais sans oser vivre. En tout cas, je vivais insuffisamment. C’est la première que j’écris sur un personnage en m’autorisant à vivre comme lui. Je vais ainsi au bout de la logique de la littérature qui est tout à fait étrangère à la logique majoritaire. Il y a pour moi deux très grandes littératures qui n’ont pas grand-chose à voir.

Lesquelles ?

Tout d’abord la littérature de chevalet, celle que l’on peint, qui a donné de grands chefs d’œuvre comme Madame Bovary. Et puis il y a la littérature qui invite à vivre plus. L’Iliade et l’Odyssée sont des chants qui nous invitent à vivre plus. Toutes les tragédies grecques nous invitent à vivre plus. C’est une littérature d’invitation. Cela a toujours été minoritaire dans la littérature du 19e siècle puisque la littérature de chevalet l’a emporté. Mais cette logique du chevalet nous amène à nous poser la question : est-ce que la toile est digne d’entrer au musée ? Si elle est digne, on lui donne un prix et on l’embaume. La seconde famille d’écrivains m’est beaucoup plus proche.

Cela demande un minimum d’explications Alexandre.

Si il y a souvent eu un malentendu entre la critique et moi, c’est parce que mes livres étaient lus et évalués comme la littérature de chevalet. Que ce soit autobiographique ou romanesque, mes livres invitent à vivre plus. Avec Double-cœur, j’ai pu aller au bout de ce raisonnement jusqu’à l’extrémité de cette logique. Certaines personnes ont utilisé dans la vie réelle le contenu de mes livres pour faire passer des messages par exemple. Cela pénétrait dans la vie des gens d’une manière active. En écrivant Double-cœur, j’ai imaginé tout un système pour que l’on puisse vivre réellement et que l’on puisse géolocaliser tous ceux qui veulent vivre comme dans le roman. Il y a la fin un mode d’emploi qui est proposé.

C’est une révolution littéraire !

Je vais au bout de l’histoire puisque l’époque le permet. On a les outils pour injecter de la littérature dans notre vie réelle. Et donc pour aller au bout de l’invitation à vivre plus avec un grand objectif : ramener tous ceux qui veulent vivre comme dans Double-cœur vers les libraires de manière à ce qu’ils jouent avec l’amour en librairie physique. Mes séances de signatures étant le point culminant de ces moments-là ! Je rêve d’un pays où l’on tombera amoureux en librairie. Je donne un exemple tout simple. Ce matin, je poste sur Facebook un message : que faîtes-vous pour dire je t’aime sans mot mais par une action ? C’est une règle de vie des doubles cœurs, écrivons ensemble le roman vrai des doubles cœurs en partageant nos idées simples, douces, folles. Et ça fonctionne puisque les commentaires n’arrêtent pas de tomber.

« La littérature doit être une ouverture à l’autre »

Que veux-tu au juste ?

Je veux que la littérature irrigue la vie et que cela se traduise par des actes. Je découvre des gens extraordinaires qui vivent des histoires extraordinaires. Je pense que si mon père était là, lui qui est le maître des double-cœurs, il aurait utilisé à fond les réseaux sociaux. Je pense qu’il aurait follement joué avec ses contemporains. Je suis tombé sur un ami écrivain qui était choqué par ma démarche en me disant : est-ce que la littérature doit se prostituer à ce point-là dans la vie réelle ? Je lui ai volé dans les plumes en lui disant : réveille-toi, ne fabriquons pas un pays de lettrés coupés de la vie. Si on refuse d’entrer dans la vie des autres grâce aux outils de la modernité, on va finir par être une petite secte de lecteurs et d’écrivains incapables d’enchanter l’époque. La littérature doit être une ouverture à l’autre.

Beaucoup critiquent les réseaux sociaux. Ta démarche s’appuie justement sur les réseaux sociaux.

Mais les réseaux sociaux ne seront que ce nous voudrons bien en faire. Sur une appli de rencontres par exemple, on peut injecter de la poésie ou de la vulgarité. Cela ne dépend que de nous, ce n’est pas contenu dans l’outil. Il me semble très important que les mots des amours se faufilent dans ces outils. Si l’on veut faire revenir le 18e siècle galant, on ne pourra le faire que de cette façon, en injectant nos mots, notre regard romanesque sur l’existence, nos romans, au cœur même de la vie des gens.

Recueillis par Pascal Hébert

 







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