France Culture

Le nageur et ses démons de Gilles Bornais

Publié le  Par Pascal Hébert

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Après avoir renfilé son costume de détective avec Le sang des Highlands, Gilles Bornais nous revient en slip de bain pour nous parler d’une de ses grandes passions : la natation. Ecrivain complet, Gilles Bornais a l’habitude de nous surprendre. Avec Le nageur et ses démons (Editions François Bourin), l’ancien journaliste évoque avec talent le monde de la natation.

Il aurait pu se contenter de nous retracer l’histoire de ce sport, voire de nous régaler avec des anecdotes sur tel ou tel champion. Son livre dépasse tout ce que l’on peut lire sur une discipline sportive. Ce qui n’est pas étonnant avec ce citoyen pas comme les autres. La réussite tient à la personnalité de Gilles Bornais qui ne se prend pas au sérieux et qui a un regard objectif sur son potentiel en natation. Débarrassé de toute velléité de surprendre son lecteur avec ses performances, Gilles Bornais s’attache à son sujet principal, la natation dans tous ses états de ses origines à aujourd’hui. Avec l’œil d’un nageur qui a tenté d’atteindre les meilleurs chronos et d’un entraîneur-président de club, Gilles Bornais nous dresse le portrait de ce sport individuel assez ingrat au final. Tricotant entre le passé, sa vie et l’évolution de la natation au fil du temps, Gilles Bornais a réussi à dépasser le sport pour mettre un pied dans la partie humaine ou plus précisément sur les ressentis des nageurs de très haut niveau. Un ressenti que l’on appréhende mieux lorsqu’il évoque le cas Laure Manaudou qui n’a jamais aimé nager.


Gilles Bornais égrène dans ce livre les champions qui ont fait rêver leurs fans en remportant des médailles. Mais comme toujours, il y a un revers à la médaille que l’auteur nous décrit assez bien : « Tant que vous progressez, votre vie de sportif est insouciante. Les médailles sont les miroirs grossissants de vos mérites. Vous en oubliez qu’une victoire n’est qu’un concours de circonstances, elle ne dit pas que vous avez été bons, seulement que les autres l’ont été moins. On ne bat jamais que des perdants. La suprématie de tous les meilleurs ne vous atteint pas, vous ne la croisez pas, la compétition n’est pas lancée, vous avez choisi d’admirer à distance ces modèles. Le jour où, au hasard d’une confrontation, ils vous écrasent de leur classe et de leur travail, votre fierté de vous être trouvé là, dans le même bain qu’eux, vous sauve de l’offense. Vous êtes dans cet état qu’éprouve le fan que son idole de chanteur a invité à monter sur scène. »

Dans ce livre à tiroirs, Gilles Bornais parle de lui, de son expérience dans le milieu de la natation et professionnel. Un moment de partage à ne pas manquer !

PH. Comment en es-tu arrivé à te passionner pour la natation ?

GB. Par hasard, j’avais déjà presque 12 ans, j’avais essayé sans réussite le judo et le handball et je voulais pratiquer le rugby. Une opération de l’épaule m’a envoyé à la piscine. La passion est vite venue, ça a tenu aux faits que je sois tombé dans un club dynamique et que par nature j’ai plutôt tendance à faire les choses à fond.

PH. Quel regard portes-tu sur le milieu ?

GB. Je crois que plus encore que les autres disciplines sportives, la natation est un milieu fermé ; cela tient peut-être au fait que nous évoluons dans un cadre qui n’est pas notre milieu naturel et qu’il est difficile de faire comprendre au profane ce qu’on y ressent (ce que j’ai pourtant essayé de faire dans le livre). Pour le reste la natation souffre encore plus que d’autres sports d’être très dépendants de la bonne volonté des collectivités locales qui détiennent les équipements (aux frais de fonctionnement très importants), lesquels sont aujourd’hui de plus en plus gérés par des prestataires privées pour lesquels l’entraînement des nageurs n’est pas une priorité. La natation pâtit globalement du fait que la France ne soit pas un pays  de culture sportive. Au contraire d’autres pays, le monde universitaire, par exemple, ne prévoit pas qu’on puisse concilier entraînement de haut niveau et études. Les meilleurs nageurs font très tôt une croix sur leurs études. Très symptomatique aussi, nous allons avoir les Jeux olympiques à Paris, une ville où la natation de haut niveau a pratiquement disparu et où la demande en terme de natation de loisir dépasse de loin l’offre. Les créneaux sont surchargés…   

PH. Dans ce livre, tu nous parles des anciennes gloires. Quel est le nageur qui t’a marqué ?

GB.  Ceux qui me battaient, ce qui fait un bon wagon… Sinon, c’est Mark Spitz, parce qu’il a tout gagné à Munich, parce qu’il était américain, ce qui à l’époque était synonyme d’une excellence sportive quasi mythique, qu’il n’était pas exubérant, limite hautain -comme s’il trouvait normal qu’il gagne, ce qui pour moi ajoutait à sa grandeur- et qu’il  nageait du papillon et moi aussi.

PH. Tu évoques bien sûr Laure Manaudou. Que penses-tu de la nageuse et de son aversion pour le milieu ?

GB. Laure Manaudou est la nageuse la plus douée qu’on ait eue, elle n’avait pas hélas pour sa carrière le profil psychologique d’une championne au long cours. Elle n’aimait pas nager et ne l’a fait vraiment sérieusement que pendant deux ou trois ans ce qui l’a empêché de marquer, au plan chronométrique, son sport comme elle aurait pu le faire. D’autres champions ont reconnu, eux aussi, qu’ils n’aimaient pas s’entraîner (j’en parle également dans le livre)…

PH. Ne crois-tu pas qu’à un certain niveau, tous les sportifs sont finalement écœurés par un ras-le-bol des entraînements ?

GB. Se mettre chaque dans l’eau le matin de bonne heure après qu’on en est sorti à peine douze heures plus tôt est difficile (quand on s’entraîne deux fois par jour)… De plus la nage est très technique (on a à penser à pas mal de choses quand on nage et surtout pas à compter les carreaux du carrelage…) et on ne peut guère faire de pause car on régresse très vite. Tant qu’on progresse facilement, cela passe, ensuite, il faut du caractère. Si on n’en a pas, il faut vite oublier la compétition.

PH. Que penses-tu de Philippe Lucas ?

GB. Je l’ai connu quand on nageait au Club des nageurs de Paris ensemble, puis on a commencé à entraîner à peu près à la même époque, on échangeait beaucoup. Il a tout de suite eu une énorme détermination à « sortir des champions » ce qui n’est pas la même chose que de monter un grand club. Au début il s’est servi de son charisme, de son instinct, puis au fil des années il a étoffé son bagage technique. Aujourd’hui il conjugue ce côté gourou et cette expérience technique. Il réussit à rendre ses nageurs plus fort mentalement que les autres. En eau libre (sur des distances de 5, 10 et 25 km) et dans les épreuves de demi-fond en bassin, il est peut-être celui qui au monde obtient les meilleurs résultats. Il a su également se bâtir une image auprès des médias, la vérité est évidemment un peu différente. Il y a des entraîneurs qui font nager plus que lui…

PH. La Fédération française de natation est-elle à la hauteur des enjeux mondiaux ?

GB. La fédération française est comme beaucoup de fédération une institution avec tout ses travers et ses limites. Elle est limitée par le manque de moyens que lui impose l’Etat et par son peu de contrôle sur les équipements. Côté compétition, elle s’en remet à l’éclosion, de temps à autre, d’un champion ou d’une génération d’exception. Nos entraîneurs sont parmi les meilleurs du monde, ils accomplissent des prouesses pour de maigres salaires, avec des horaires déments et cela auprès d’un réservoir limité de très bons nageurs. La détection est inexistante et les filières menant à l’excellence rares et peu dotées. Heureusement les médias font bien leur travail, on a toujours l’impression qu’on est les meilleurs…

PH. Que penses-tu des chances de la France aux prochains Jeux olympiques ?

GB. Au vu des derniers championnats de France, elles sont maigres, même si la multiplication des courses nivelle un peu tout. Florent Manaudou aura une médaille sur 50 mètres s’il s’astreint à s’entraîner correctement, il peut même gagner vu ses qualités et la concurrence, assez faible, sur cette course. Medhy Métella postulera une médaille sur 100 mètres papillon, Charlotte Bonnet et Fantine Lesaffre progressent, elles ne seront pas loin des médailles. Il y aura des podiums en eau libre. En relais, le 4x100 m nage libre féminin peut être dans les 5 meilleurs et le 4x100 libre masculin visera le podium, nos autres relais ne sont, pour l’instant, pas compétitifs. C’est dans quinze mois, il peut y avoir des révélations d’ici là…

PH. Pourquoi les nageurs prennent-ils leur retraite très jeunes ?

GB. Parce qu’ils ne progressent plus et que, dès lors, s’entraîner 6 heures par jour 330 jours par an devient difficile. Et ensuite parce que la natation ne nourrit guère son homme. Cela est en train de changer, avec la création de circuits professionnels. Les tout meilleurs pourront gagner leur vie, et nageront peut-être plus longtemps. Mais ensuite, il leur faudra toujours organiser leur reconversion.

PH. Penses-tu que l’on peut s’attendre encore à des records ?

GB. Oui car la natation est un sport jeune et que les techniques d’entraînement, que ce soit au plan physiologique ou sur celui des techniques de nage, progressent. La fédération internationale ayant intérêt à ce que les records soient battus pour qu’on parle de son sport, elle s’y emploie en rendant les équipements plus rapides et en assouplissant régulièrement les règlements. La généralisation de la prise de créatine a également rendu les nageurs plus forts, ils sont aussi de plus en plus grands, ce qui les fait nager plus vite.

Propos recueillis par Pascal Hébert

Le nageur et ses démons, de Gilles Bornais, aux éditions François Bourin. 239 pages. 19 euros.

 

 







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