France Politique

Présidentielle : qui a voté pour le Front National ?

Publié le  Par Jennifer Declémy

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C'est la grande question qui agite le monde politique depuis dimanche soir : qui sont les 18% de français qui ont voté Marine Le Pen le 22 avril ? Décryptage.

Depuis vingt ans déjà l’extrême-droite a réinvesti le champ politique français par le biais du Front National. Commençant très bas en 1974, Jean-Marie Le Pen a progressivement gagné en notoriété et en intentions de vote, jusqu’à atteindre les 16% de voix en un funeste 21 avril 2002. Aujourd’hui son héritière a dépassé ce triste record pour atteindre les 6,5 millions de voix lors du scrutin 2012.

Qui sont ces militants du Front National ? Qui a voté Marine Le Pen le 22 avril dernier ? Qui sont ceux qui espèrent et souhaitent la voir au pouvoir ? Que révèle le résultat du premier tour et le haut score que Marine Le Pen a obtenu ? Nicolas Sarkozy peut-il espérer reconquérir cet électorat ? Autant de questions auxquelles il est très difficile de répondre uniformément.

Ce qui est frappant dans le vote Le Pen qui est survenu dimanche dernier, c’est sa grande disparité et l’impossibilité qu’il y a de classer ce vote dans une seule catégorie homogène. On vote extrême-droite pour de multiples raisons qui n’ont parfois absolument rien à voir les unes avec les autres.

Il faut tout d’abord rétablir la vérité : oui, les 18% de français qui ont voté Marine Le Pen ne sont pas racistes ou fascistes, mais oui aussi, une partie de cet électorat appartient aux relents les plus nauséabonds de l’histoire : négationnisme, pétainisme, ultra-catholicisme, antisémitisme et islamophobe. On les retrouve autour de Marine Le Pen, parmi les cadres du Front National (Pour des propos tenus en 2004, Bruno Gollnisch a d'abord été condamné pour "contestation de crimes contre l'humanité" en première instance et en appel, avant que la décision ne soit annulée par la Cour de Cassation) et parmi quelques militants/sympathisants qui alimentent notamment la fachosphère. Autrement dit, Benoit Hamon a raison quand il déclare « une partie des électeurs FN sont xénophobes », il suffit de se rendre sur fdesouche ou autres sites pro-FN pour s’en rendre compte.

A côté de ces extrémistes indécrottables, il y a en outre un électorat légèrement raciste qui s’agrège, c’est-à-dire un électorat pas foncièrement raciste mais qui l’est devenu par la force des choses, par un contexte d’insécurité et de précarité qui favorise le repli sur soi et sur la nation. Ce sont des personnes qui disent « je ne suis pas raciste mais…. » et qui trouvent donc un écho positif dans des propositions comme la préférence nationale ou la diminution de l’immigration.

Et pour le reste ? Est-ce que c’est un simple vote de crise ? Ou le vote d’électeurs de Nicolas Sarkozy déçus par son bilan et qui demandent un durcissement de sa politique ? La réalité est bien plus complexe et tient compte d’une multitude de facteurs qui ne sont pas tous reliés à l’explication de « la crise », contrairement à ce qu’affirme l’UMP. En réalité, et comme le dit très bien François Miquet-Marty, « une rupture d’ordre existentiel s’est produite » durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, entre « la France d’en haut et la France d’en bas » et désormais existe en France une catégorie disparate d’électeurs qui se sentent oubliés, rejetés et complètement exclus de la société française. Ce sont eux qui ont exprimé leur ras-le-bol en votant Front National dimanche dernier.

« La tension sociale est réelle, la révolution et la colère sont à leur comble parmi les ouvriers et le sentiment d’injustice gagne du terrain parmi la classe moyenne » expliquait déjà la fondation Jean Jaurès il y a plusieurs mois, comme une mise en garde à l’encontre de la classe politique. Le sentiment d’injustice, c’est effectivement ce qui semble caractériser le plus ces électeurs qui voient petit à petit leurs repères s’effondrer et cherchent refuge dans un repli identitaire dont ils ne perçoivent pas le côté xénophobe.

« Il faut renvoyer ceux qui n’ont pas de papiers, ils viennent foutre leur bordel, comme machin Merah », « il y a toujours des arabes qui foutent le bordel », « ils nous ont oubliés », « Sarko c’est le président des riches », « le problème c’est les musulmans ils veulent niquer la France », « on est des serfs des temps modernes », « tout le monde se fout de notre sort », « il faut défendre la patrie et la nation »….Autant de propos que l’on entend parmi ces électeurs qui expriment effectivement une réelle souffrance devant les promesses non-tenues. Car le vote Front National, c’est en grande partie un vote de rejet contre les deux grands partis qui gouvernent la France depuis trente ans, qui accumulent les scandales politiques et financiers, qui cumulent les mandats et n’ont pas respecté beaucoup de leurs promesses.  Un vote qui sanctionne la protection qu’ils attendaient et n’ont jamais obtenu.

C’est donc naturellement que l’on ne trouve quasiment pas de cadres parmi ces électeurs, mais au contraire beaucoup de personnes vivant dans des situations précaires, des jeunes qui arrivent sur le marché du travail et qui ressentent la peur de l’avenir. De manière générale, la majeure partie de l’électorat frontiste se situe dans la France péri-urbaine, c’est-à-dire la France qui vit dans des communes isolées, se situant à plusieurs dizaines de kilomètres des grandes villes et qui subit de grandes frustrations sociales du fait de la disparition des services publics, du problème du manque de transports en commun dans ces régions et de la précarité de l’emploi : délocalisations, fermeture d’usines et plans sociaux massifs. Rien qu’à Florange, site industriel actuellement menacé, beaucoup d’électeurs ont voté Front National.

C’est ce qu’on appelle donc « la France des invisibles », celle qui ne se sent plus représentée par la classe politique et qui a le sentiment que « Marine peut tout péter ». Mais cette France n’est pas simplement apparue pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Cela fait plusieurs décennies que les français sont atteints de la peur du déclassement, que décrivait il y a longtemps déjà Edgar Morin. En réalité, c’est une accumulation de facteurs, dont la crise, qui ont fait basculer de plus en plus d’électeurs vers l’extrême-droite.

« Quelque chose a basculé dans l’opinion » prévenait déjà la fondation Jean Jaurès l’année dernière, dans une note qui a fait date. « Et en particulier dans les milieux populaires, et l’effet d’attraction produit par le discours de Marine Le Pen s’explique par le fond commun de représentation structurée par un sentiment général d’insécurisation ».

Si le vote Marine Le Pen n’est qu’en partie un vote d’adhésion, mais reste trop élevé, c’est à cause uniquement des manquements des différents hommes politiques qui se sont succédés et qui n’ont pas su répondre aux problèmes des français. Parce qu’ils n’ont pas su résorber le taux de chômage, parce qu’ils n’ont pas su répondre à la précarité grandissante et parce qu’ils n’ont pas su insuffler une confiance en l’avenir, ces français se sont détournés pour aller vers une candidate qui, n’ayant jamais exercé le pouvoir, peut prétendre posséder les réponses efficaces à leurs problèmes. En cela, les propos récents tenus par Patrick Devedjan « l’extrême-droite n’est forte que quand la droite est faible » trouvent toute leur pertinence, mais s’appliquent aussi à la gauche. Le vote FN, c’est le vote d’une politique qui a totalement échoué dans ses missions les plus fondamentales.

Pour aller plus loin : le pari perdant de Nicolas Sarkozy.

                                 Comment Marine Le Pen est devenue la candidate du monde rural.

                                 Une percée spectaculaire du Front National.

                                Comment expliquer ce résultat ?

 







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