Monde Politique

Danemark : la loi (anti) immigration qui disloque le pays

Publié le  Par Un Contributeur

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Thomas Feneux

Le 26 janvier dernier, le Danemark a créé la polémique en adoptant la loi immigration L87 qui prévoit notamment la saisie des biens des réfugiés. Entre défenseurs extrémistes et opposants menacés, un Français vivant au Danemark nous explique le climat tendu qui règne à Copenhague.

Quand on interroge les Danois sur cette loi immigration, l’extrait controversé sur la saisie des biens, qui a provoqué une véritable polémique mondiale, n’apparait pas comme le sujet principal de la loi L87. Ce passage contesté prévoit que tous les biens d’une valeur supérieure à 10 000 couronnes danoise (environ 1 340 euros) par personne, exception faite des « bijoux ayant une valeur sentimentale », pourront être saisis par la police, lors de contrôles aléatoires.
 

Le sujet qui inquiète le plus les Danois concerne le passage sur le regroupement familial. La loi précise qu’un réfugié vivant dans ce pays scandinave ne pourra désormais faire venir le reste de sa famille qu’au bout de trois ans et non plus un an comme cela était le cas auparavant. Autrement dit, un Syrien obtenant l’asile politique au Danemark devra patienter trois ans avant d’espérer obtenir le droit de faire venir sa famille.

Une manif « Not in my name »

La gronde gagne progressivement le pays. D’après un sondage de Metroxpress, 39% des Danois sont contre la nouvelle loi et 38 % sont pour, le reste ne souhaitant pas se prononcer. Une manifestation « Not in my name » a eu lieu lundi 1er février réunissant environ 2 000 personnes à Copenhague selon les organisateurs. Une invitation Facebook avait circulé quelques jours auparavant.
 

Un de ses organisateurs, Mikkel Radicke, se dit « très attristé, bouleversé et frustré. Cette manifestation est un moyen d’envoyer un message au monde entier, qu’il y a des Danois qui se mobilisent contre la L87 ». Une autre organisatrice, Asrin Mesbah, militante pour l’accueil des réfugiés, parle des conditions dans lesquelles vivent les migrants :
 

« Ils sont traumatisés par la guerre quand ils arrivent ici, maintenant c’est le gouvernement qui les traumatise avec l’allongement du délai pour le rapprochement familial, en réalité il faudra 5 à 6 ans à cause des démarches administratives. Certains réfugiés ont même commencé une grève de la faim ».


Une jeune danoise juge «cette loi indigne, surtout venant d’un pays qui a signé dans les premiers la Convention des droits de l’homme ».

Manifestation "Not in my name" à Copenhague au Danemark.

  Hommage aux réfugiés lors de la manifestation "Not in my name" à Copenhague

Les opposants menacés

Le petit groupe qui milite en faveur de cette cause a reçu des insultes et des menaces de mort des groupes d’extrême droite. « Ils ont même dit qu’ils allaient raser la tête des militants qui collaborent pour les réfugiés, comme celle des femmes qui ont couché avec les nazis ».
 

Le gouvernement du premier ministre Lars Løkke Rasmussen a soumis la loi L87 au vote du Folketinget, le Parlement danois. Ce dernier l’a voté à 81 voix pour et 27 contre.

Des politiciens (très) conservateurs

Au cœur de la polémique : le ministre de l’Intégration Inger Stojberg, qui défend farouchement cette loi immigration. Le ministre n’est pas à son coup d’essai : en août 2015, il avait déjà diminué les aides sociales pour les réfugiés et les migrants de 45%. En début d’année, le gouvernement a rétabli sa frontière terrestre avec l’Allemagne et procède à des contrôles d’identité réguliers avec l’aide de la police suédoise sur la ligne Malmö – Copenhague (Øresund bridge) pour réduire le flux migratoire entre la Suède et le Danemark. Ces mêmes contrôles peuvent occasionner des retards allant jusqu’à 50 minutes et mettent les Suédois venant travailler dans la capitale danoise dans des situations difficiles.


Au Parlement, certains députés conservateurs crient haut et fort que les Syriens devraient rester dans leur pays et se battre pour leur liberté. Le conflit syrien semble pourtant très inégalitaire entre un régime de Bachar al-Assad qui bombarde une partie de son peuple et qui serait responsable de plus de 95% des victimes depuis le début de la guerre en 2011 (source SNHR*) , et des forces d’opposition aux moyens militaires très limités et confrontées à l’arrivée en force d’organisations islamiques  comme Daesh ou Al-nosra.

Dérives islamophobes

Dans le pays voisin, en Suède, des groupes néo-nazis agissent contre le flux migratoire, à leur manière... Vendredi dernier plus de 50 hooligans s'apprêtaient à "faire le ménage parmi les criminels immigrés d'Afrique du nord" d’après le site nordfrond.se.


Les ratonnades des mouvements identitaires anti-musulmans, l’exclusion sociale des migrants et la montée de l’extrémisme sont des dangers que les gouvernements danois et suédois ne semblent pas prévoir.


Ces dérives pourraient surtout profiter à Daesh. L’organisation islamique pourrait en profiter pour attirer des personnes perdues dans ce soi-disant « eldorado européen » et tentées par un esprit de revanche. Ce cas de figure deviendrait catastrophique. D’une part pour les Européens vivant avec une peur chronique d’un nouvel attentat amplifiée par les flux migratoires. D’autre part, pour ces millions de réfugiés qui seraient assimilés à des terroristes. La rupture sociale, alimentée par la montée des partis d’extrême droite et les amalgames, et cherchée par certaines organisations deviendrait alors une réalité.

Le Danemark avant-gardiste  sur la saisie des biens ?

La loi L87 représente un virage dans la politique migratoire danoise. L’ambassade danoise aux Etats-Unis a tenu a rappeler que le pays scandinave a annoncé qu’il accueilliera 25 000 réfugiés cette année, soit 20% de plus qu’en 2015, pour une population d’environ 6 millions d’âmes. Il est également bon de rappeler qu’en 2009, le Danemark avait consacré 250 millions de dollars pour l’aide humanitaire, ce qui le classe – proportionnellement parlant – parmi les plus gros donateurs de la planète.


En Europe, la nouvelle loi danoise n’est pas un cas isolé. La Bavière en Allemagne se réserve le droit de saisir au maximum 750 euros aux réfugiés. En Suisse, les migrants doivent remettre aux autorités tous les biens d’une valeur supérieure à 1 000 francs suisses (905 euros) afin de participer à leur entretien. Des mesures encore bien loin des saisies records danoises donc. Reste maintenant à savoir si d’autres pays prendront l’exemple scandinave en matière de loi immigration.
 

Thomas Feneux


Thomas Feneux vit à Copenhagen au Danemark depuis septembre 2015. Il s’intéresse particulièrement au djihadisme et aux conflits modernes (depuis 2010), il intervient dans une radio associative française au Danemark sur la question islamique et terroriste.

 







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