France Economie

Dossier gaz de schiste (4/4) : limites et avenir de la loi - le rapport d’étape de l'OPECST

Publié le  Par Valérie Galfano

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Après avoir étudié les aspects techniques et juridiques de l'exploitation du gaz de schiste, nous vous proposons une analyse du rapport parlementaire du 5 juin 2013 intitulé : "les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste"

L'exploitation des gaz de schiste par un autre moyen que la fracturation hydraulique n'est pas interdite ; l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de l'Assemblée Nationale a été chargée par une lettre du 14 novembre 2012 émanant de la Commission économique du Sénat de remettre un rapport sur "les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste" :
"S'il est en effet hors de question de recourir aux techniques de fracturation hydraulique, il est tout aussi regrettable d'interdire toute réflexion et recherche permettant la mise au point de technologies alternatives, respectueuses de l'environnement afin notamment de mieux évaluer les ressources contenues dans le sous-sol français et d'exploiter éventuellement cette ressource en définissant un cadre réglementaire très strict."


Le rapport d'étape du 6 juin 2013


Ce que dit le rapport :

Le rapport d'étape de l'office parlementaire des choix scientifiques se compose de deux parties : "les ressources en hydrocarbures : miracle ou mirage" et "des technologies d'extraction diverses et évolutives"

Dans la première partie, le groupe de travail étudie dans un premier paragraphe ce qu'il appelle "une révolution énergétique mondiale", c'est-à-dire la place des hydrocarbures dits non conventionnels parmi l'ensemble des ressources énergétiques et souligne qu'il s'agit de ressources "présumées et non démontrées". Dans un second paragraphe, une estimation des ressources est proposée.  Dans un dernier paragraphe, des propositions sont faites pour préciser le potentiel d'énergie que représentent gaz et huiles de schistes.

La seconde partie s'intéresse aux différentes technologies d'extraction existantes : sans fracturation, avec fracturation hydraulique (utilisant de l'eau) et enfin des techniques alternatives.


Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique utilisant de l'eau

"Les techniques de stimulation utilisant un fluide sous pression autre que l’eau, par exemple le propane liquide ; les techniques recourant à des phénomènes physiques différents, notamment électriques ou thermiques."

La fracturation hydraulique avec d'autres fluides que l'eau

Les rapporteurs font remarquer qu' "en l'absence de définition précise de la fracturation hydraulique, l'acception large de l'adjectif couvre l'usage d'un liquide et pas seulement de l'eau" : il peut également s'agir de propane, de CO2, d'hélium, de méthanol ou de mousse. Le but, quel que soit le liquide utilisé, est d'obtenir une pénétration la meilleure possible avec un liquide possédant une bonne viscosité.

La stimulation par d'autres procédés physiques

Il existe des procédés électriques et des procédés thermiques
Le procédé électrique consiste à créer un arc électrique dans le puits au moyen d'électrodes ce qui va provoquer des micro-fissures dans la roche : l'inconvénient de cette méthode est qu'elle n'a d'effet que sur une surface peu importante autour du puits. La fracturation thermique provient de l'utilisation de la chaleur pour que la roche se rétracte mais les risques environnementaux sont mal définis.


Conclusion et propositions du rapport

Dans sa conclusion, les rapporteurs du dossier soulignent que "les nouvelles technologies permettent de réduire le nombre et l’ampleur des opérations de fracturation hydraulique. Elles permettent de  réduire la consommation d’eau potable et rendent possible l’élimination des  produits chimiques. Ces évolutions ont toutefois un coût, dans un contexte où la production d’hydrocarbures non conventionnels est par nature soumise à des conditions économiques critiques."

Les propositions sont de plusieurs sortes :
 

  • la nécessité d'une évaluation française des ressources que nous possédons  - l'application de la Loi Jacob de 2011 dans toutes ses dimensions ce qui signifie :

    *  la mise en place de la Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux ;

    * rendre au Parlement le rapport annuel qui avait été prévu ;

    * mettre en place un programme d'expérimentations ;

    * établir un programme de recherches sur les hydrocarbures non conventionnels ;
     
  • proposer la mise en place d'un puits-test ;
     
  • considérer que les hydrocarbures non conventionnels doivent être étudiés dans le cadre du débat sur la transition énergétique ;
     
  • réformer le Code minier afin que les collectivités locales et les propriétaires puissent bénéficier de retombées positives suite à l'exploitation de mines.

 

Remarque : contrairement au droit minier américain où le propriétaire du sol bénéficie de ce qui est découvert chez lui, le droit minier français ne reconnaît que l'Etat comme propriétaire du sous-sol : en cas de forage sur une propriété privée, le propriétaire se voit accorder une indemnisation, mais pas une rétribution liée au forage.



Les réactions au rapport d'étape



Revue de presse : articles parus entre le 6 juin et le 9 juin

Certains journaux présentent le dossier en soulignant  le parti-pris des rédacteurs du rapport en faveur de l'exploitation des gaz de schistes
Beaucoup d'articles citent ainsi la phrase  : la technique de fracturation hydraulique « reste la technique la plus efficace et la mieux maîtrisée pour extraire les hydrocarbures non conventionnels et des solutions existent pour le faire avec un impact acceptable sur l'environnement, à condition de respecter certaines règles  ». C'est le cas notamment du Monde qui souligne également l'opposition d'avis entre les rédacteurs du rapport et certains membres du gouvernement (ministre de l'Écologie) et les associations.

http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/06/la-france-doit-exploiter-ses-gaz-de-schiste-selon-un-rapport-parlementaire_3425383_3244.html
http://lci.tf1.fr/science/environnement/gaz-de-schiste-un-rapport-parlementaire-pour-l-exploitation-8000540.html
http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/des-parlementaires-recommandent-l-exploration-des-gaz-de-schiste-en-france-849066


Rares sont les journalistes qui se disent ouvertement favorables aux conclusions du rapport :
http://www.usinenouvelle.com/article/gaz-de-schiste-la-technique-la-plus-sure-reste-la-fracturation-hydraulique-selon-l-opecst.N198567

La Tribune souligne les affirmations polémiques de l'Office : la possibilité d'améliorer la technique de la fracturation hydraulique, la réduction de la facture énergétique, l'amélioration de la compétitivité de l'industrie française, la création d'emplois et le financement de la transition énergétique.
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20130606trib000768875/gaz-de-schiste-le-rapport-qui-remet-le-feu-aux-poudres.html

Les Echos soulignent que le coût des solutions alternatives à la fracturation hydraulique est coûteux.
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/actu/0202811512132-nouveau-rapport-en-faveur-des-gaz-de-schiste-en-france-573226.php


L'Expansion a interviewé un des rapporteurs du document parlementaire, Christian Bataille
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/christian-bataille-ps-exploiter-le-gaz-de-schiste-est-dans-l-interet-de-la-france_388446.html
"
- Pensez-vous que l'opposition au gaz de schiste soit une posture idéologique ?
- Ce sont en réalité des opposants à tous les hydrocarbures. Or, même si nous entrons dans une phase de transition énergétique et qu'il est essentiel de développer les énergies renouvelables, il faut être réaliste : nous utiliserons le pétrole et le gaz pendant encore plusieurs décennies. La mort du pétrole n'est pas pour demain, d'autant plus que les Etats-Unis, grâce au gaz de schiste, ont des réserves supplémentaires.
"

Libération s'interroge sur le rôle des lobbys de l'industrie du pétrole
http://www.liberation.fr/economie/2013/06/06/gaz-de-schiste-un-pave-dans-le-puits_908946
"Le lobby des industriels du gaz de schiste a fait très fort. Alors que le gouvernement a décrété un moratoire sur l’exploitation de cette ressource énergétique, il a réussi à convaincre deux parlementaires français de l’innocuité de la technique de fracturation hydraulique."
"Ce rapport, on pouvait s’en douter, a fait très plaisir aux industriels."

Le Monde remet en cause un des arguments utilisés par les rédacteurs du rapport : l'existence d'une certaine expérience de la France en matière de fracturation hydraulique :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/08/gaz-de-schiste-des-fracturations-hydrauliques-ont-elles-eu-lieu-en-france_3426081_3244.html
"L'argument est fallacieux. Car en réalité, sur les quarante-cinq fracturations, quarante-trois concernent du pétrole conventionnel et s'avèrent très différentes des opérations telles qu'elles sont menées outre-Atlantique dans les gisements de schiste. "

Le Monde affirme qu'un seul essai a été effectué :
 "En juin 2010, Vermilion a ainsi lancé son programme d'exploration des ressources en huiles et gaz de schiste du Bassin parisien, sur le site de Champotran (Seine-et-Marne), en utilisant deux puits verticaux existants, et non des forages horizontaux comme aux Etats-Unis. "



La position européenne

 "Le 4 juin 2013, la commissaire européenne Connie Hedegaard a répondu lors d’une audition à l’Assemblée nationale à la question posée par Bertrand Pancher, député de la Meuse et membre de la Commission du développement durable. Concernant ses positions sur l’extraction de gaz de schiste en Europe, la Commissaire européenne a souligné que « ce type de technique n’était pas la solution miracle pour régler les insuffisances de production énergétique sur notre continent. » Relevant qu’il s’agissait là de décisions des Etats, Connie Hedegaard a jugé qu’ « il était nécessaire que l’Union européenne propose un cadre général à la mise en place de ces techniques d’extraction d’ici la fin de l’année… » Affaire à suivre.
http://www.lagazettedescommunes.com/170471/gaz-de-schiste-un-rapport-qui-defend-l%E2%80%99exploitation-maitrisee-du-gaz-de-schiste/



La position du ministère du développement durable

Le 5 juin 2013 un communiqué de presse a affirmé : "Au-delà des mesures d’urgence, le débat national sur la transition énergétique débouchera sur des mesures pérennes pour soutenir efficacement la montée en puissance des énergies renouvelables."
Sur la page d'actualités, rien n'est mentionné au sujet de la remise du rapport et à la rubrique "pétrole", la dernière information a rapport à  la réforme du code minier, le 6 février 2013.

Delphine Batho, ministre de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie s'est exprimée le 5 juin 2013 sur BFMTV dans un débat qui l'opposait à Laurence Parisot, présidente du MEDEF au sujet des gaz de schistes.
La présidente du Medef estime qu'il ne faut pas interdire le débat sur le gaz de schiste et elle propose de donner plus de place aux énergies renouvelables en association avec les énergies classiques, y compris le gaz de schiste. La ministre, au contraire, défend le développement massif du bio-gaz et de l'économie verte ;  on ne peut développer à la fois le gaz de schiste et les ressources renouvelables : "c'est pas l'un et l'autre, il y a un choix à faire [...] la fracturation hydraulique light n'existe pas [...]"

"La ministre de l’Environnement a débattu avec la responsable du Medef sur l’épineux dossier du gaz de schiste. Mais là où Laurence Parisot y voit un instrument de “relance” de l’économie, Delphine Batho n’y voit que des “dégâts environnementaux“.
http://www.enviro2b.com/2013/06/05/gaz-de-schiste-ecologie-vs-economie/



La position des associations

Curieusement, tous les journalistes notent les réactions vives des ONG à l'annonce du rapport d'étape mais sans citer de nom et on trouve peu de choses sur le Net à part l'association "stop au gaz de schiste" et un communiqué commun à plusieurs associations dont Greenpeace


l'association "stop au gaz de schiste"

"Ce rapport d’étape doit être complété par un voyage aux Etats-Unis et en Pologne. On peut donc s’attendre à ce que le rapport définitif enfonce le clou avec les "témoignages" à l’appui. Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir "
"Lobbying intense à Bruxelles, recommandations à répétition auprès de l’Elysée, opérations séduction vers les médias : plusieurs groupes français déploient des efforts considérables pour plaider la cause des gaz de schiste. Pourquoi une telle insistance ?"
"Les gaz de schiste cachent de puissants intérêts, qui refusent toute transition énergétique. "


Un communiqué a été signé par les associations Agir pour l'Environnement, Amis de la Terre France, Attac, Greenpeace France et RAC - Réseau Action Climat France


"Nos organisations signataires se joignent aux collectifs citoyens contre les gaz de schiste pour demander l'interdiction du recours aux gaz et huiles de schiste, quelle que soit la technique d'extraction, ainsi que pour exiger une transition énergétique tournée vers la sobriété et les énergies renouvelables mais en aucun cas vers de nouvelles énergies fossiles, quelle qu'elles soient."
http://www.agirpourlenvironnement.org/communiques-presse/gaz-de-schiste-la-fracturation-hydrauliqueun-vrai-champ-de-bataille-3631



Au final, dans ce dossier, il n'y a pas UNE vérité et UNE solution idéale mais il faut garder l'esprit ouvert, être conscient des enjeux économiques et énergétiques pour la France ainsi que des risques pour l'environnement de l'exploitation du gaz de schiste.
Le rapport final prévu pour l'automne aura sans doute pour conséquence une modification de la Loi de 2011. La réforme du Code minier en cours peut transformer également le régime juridique de l'exploitation des sols.


Affaire à suivre...





Le dossier complet sur le gaz de schiste :

1/4 : La discorde au fond du puits
2/4 : Une source d'énergie convoitée mais problématique
3/4 : L'encadrement juridique de l'exploitation des gaz et huiles de schiste
4/4 :  Limites et avenir de la loi - le rapport d’étape de l'OPECST <<

 

Ce dossier en quatre parties a été suivi, le 7 janvier 2014, d'une actualisation : "Gaz de schiste : les dernières évolutions"

 

 







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