Un petit peu malheureusement, de Claire Castillon
Publié le Par Pascal Hébert

Mondovani
Il faut bien l’admettre, Claire Castillon a un truc en plus ! Il n’y a pas d’autre explication. A chaque roman, nouvelles ou livre destiné à la jeunesse, elle nous surprend. Que ce soit par son style unique, la voix qui émerge de ses phrases ou la manière dont elle traite un sujet de société pour petits ou grands, elle a le don d’élever le niveau avec une sensibilité extrême.
Avec son dernier roman, “Un petit peu malheureusement”, Claire Castillon nous coupe le souffle, nous interpelle pour finir par nous émouvoir jusqu’aux larmes. Spécialiste pour brouiller les pistes avec une certaine candeur, la romancière s’est surpassée dans ce récit particulièrement troublant, puissant, drôle, poétique et bouleversant.
Au carrefour du cœur du monde, on sait que tout à une fin. Même les étoiles les plus brillantes s’éteignent. Alors, nous marchons en rangs serrés, portant à la fois l’espérance et le doute, avec la simple envie d’aller jusqu’au bout. Omer, de son côté, a décidé de trouver La Solution. Puisque « la fin du monde est un petit peu malheureusement prévue pour demain », seule La Solution permettra de sauver l’humanité. Depuis cinq mois, il a quitté le collège pour rejoindre l’internat. Il a comme compagnon de chambre un certain Daniel. Depuis « l’annonce du pire du pire », Omer a vu sa vie prendre un nouveau virage. Il n’a plus qu’un désir : « Si je ne parviens pas à sauver ce monde d’ici son Apocalypse, je veux conserver une image parfaite et si possible éblouissante de chaque être humain à replacer dans le monde suivant dont je vais provoquer la création. » Envahi par l’infini, Omer s’attelle à lutter contre le temps pour préparer la suite. Mais les émotions l’envahissent lorsqu’il parle de son père, de sa mère, de sa grand-mère où lorsqu’il se met en colère.
Et puis le temps s’arrête lorsqu’Omer est à la fenêtre de sa chambre. Il peut voir la statue de la fontaine qui tourne la tête le soir vers lui et Daniel : « Sa chevelure semble soudain plus soyeuse, plus légère. La femme qui vomissait sur sa cuvette n’a plus ni vomi ni cuvette, elle est seulement là, le visage légèrement vers l’avant, les traits doux, la chevelure épaisse et longue, comme celle de Daphné qui n’a pas pu dire tête de con en parlant de mon casque. »
Passer de la cinquième D à la Terminale pour un aller simple, c’est ce qui attend Omer. Sa mère, son père et Daphné l’accompagnent dans ce dernier voyage particulièrement fort et éblouissant dans la narration. Ils se sourient, leurs rêves se rejoignent dans la sagesse des fous. Le temps est suspendu dans un mélange de force et de fragilité. Mais sous la braise qui s’éteint doucement, une flamme brille et veille.
Pascal Hébert
"Un petit peu malheureusement", de Claire Castillon. Éditions Gallimard (collection Scripto/Gallimard Jeunesse). 16 pages. 11,50 €.
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Cinq questions à Claire Castillon
Que peux-tu nous dire sur Omer ?
Omer est un adolescent intelligent, ou très sensible, ce qui revient au même peut-être. Il nous raconte, depuis un mystérieux "internat" qu'il a été chargé de rebooter le monde... Mais est-ce qu'il nous raconte la vérité ?
Que veux-tu exprimer avec cette phrase : « La présence n’est pas forcément la vie » ?
J'ai peut-être voulu dire que la vie, c'est l'être dans la présence, alors si on ne met pas tout son être dans sa présence, il n'y a pas de vie. La présence, quand elle n'est pas habitée, est une mise en scène.
« Une existence n’est pas un rapport au temps » Peux-tu aller plus loin ?
Disons que je refuse de mesurer l'existence en durées ou en gestes accomplis. C'est plutôt une intensité. Le temps serait un décor fragile, où l'existence de chacun serait une incision.
« Quitter la vie n’est pas un drame ». Quel est ton rapport à la mort ?
Si on ôte toute spiritualité, la mort c'est le rien. Est-ce rassurant je ne sais pas, mais si la question m'est destinée, je préférerais la voir arriver, voir à quoi elle ressemble. Il me semble que c'est une rencontre que je crains autant qu'il me semble falloir la vivre à fond. Comme le reste.
La fiction est-elle la seule liberté ?
Oui, quand même. On y tue sans prison, on y voyage sans passeport, on y vend son âme sans droit de douane, on s'y libère du réel mais on est asservi quand même, oui, ce n'est pas non plus de toute tranquillité à vivre !
Propos recueillis par P.H.