France Culture

C, d’Amanda Sthers

Publié le  Par Pascal Hébert

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J.Bonnet

Comment va notre société dans ce premier quart du 21e siècle ? C’est pas terrible. On a le sentiment que ce monde va tout droit à sa perte. Afin de mieux comprendre ce qui se passe dans nos esprits, il suffit de lire "C", le dernier roman d’Amanda Sthers. Dans ce livre à la fois léger, grave et documenté, la romancière nous explique comment les événements s’imbriquent, comment les certitudes tombent pour laisser place à la plus simple explication.

Avec finesse et une écriture claire, Amanda rend lisible les basculements qui nous déchirent, nous opposent, les débats devenus impossibles et le dialogue qui se perd dans nos consciences déboussolées. Difficile aujourd’hui de garder son cap, ses convictions. Les politiciens de tous bords, jouant leur partition sans écouter les autres, ne sont que le reflet d’une société plus que jamais divisée et fracturée, au point de rejeter l’autre pour sa couleur de peau, sa religion, son sexe, ses opinions. La colère a cédé la place à la violence dans la rue, dans la cellule familiale. Le repli sur soi est devenu un réflexe. Bref, on ne s’aime pas, on ne s’aime plus. C’est aussi simple que cela. Qu’est devenu le bien vivre ensemble à l’heure où la guerre revient par la grande porte en Ukraine et que les actes antisémites et anti-musulmans se multiplient ?
 

Rebecca est éditrice à Paris et Gilles architecte. Jusqu’à la date fatidique du massacre du 7 octobre 2023 en Israël, Rebecca, d’origine juive, et Gilles vivaient en bonne entente. Mais l’attaque du Hamas a bousculé les esprits. Outre les actes antisémites, c’est un climat qui fait retourner Rebecca vers le judaïsme. Les conséquences du massacre du 7 octobre ont mis en avant les faiblesses d’une femme et d’un homme abordant en parallèle l’usure du couple. Leur vie est également mise à mal par l’apparition dans leur chambre d’un mystérieux champignon venant empoisonner leur relation. Réfractaire à tous les produits fongicides pour moisissures, ce champignon veille comme un diable sorti de sa boîte... en attendant son heure.
 

Gilles, lui, tombe du plus haut de son âme en se laissant séduire par Capucine, une cliente du cabinet d’architecte particulièrement entreprenante. Sous le charme de sa maîtresse, Gilles l’accompagne dans des réunions privées et meetings du Rassemblement national sans montrer la moindre résistance. Se rangeant du côté du parti en pôle position pour prendre le pouvoir, des bourgeois décomplexés n’hésitent plus à s’afficher avec le RN et à partager certains propos xénophobes et antisémites car bien sûr… « Ils l’ont bien cherché » et puis : « On est chez nous. » Il est vrai que « tout ce qui concerne de près ou de loin Israël passionne les foules ». Rebecca, elle, ressent jusque dans ses os la violence de la société, le rejet des juifs parce qu’ils sont juifs. Et si elle ne l’avait pas admis, certains lui font comprendre. Rebecca finit par dire « ça me dérange d’être menacée pour ce que je suis ».
 

Avec une légèreté de ton, Amanda Sthers nous rappelle dans son roman à quel point le sens de la nuance est fondamental pour mieux comprendre les événements nous touchant collectivement. La nuance est le moyen le plus sûr d’éviter de tomber dans les bras des maîtres à penser. Et au-delà, Amanda nous montre la voie de la tolérance qui nous fait défaut !
 

Pascal Hébert

C, d’Amanda Sthers. Éditions Grasset. 220 pages. 20 €.

 

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Interview
Amanda Sthers : « J’ai confiance en l’idée que le Bien reviendra »


 

Amanda, qu’est-ce qui t’a motivé à écrire ce livre ?
 

Juste avant les élections législatives il y a deux ans, j’étais invitée à dîner. La plupart des convives exprimaient de manière assez décomplexée voter RN. J’ai commencé à débattre avec eux et une Capucine de la vraie vie m’a dit que je devrais être contente en tant que juive puisqu’ils allaient nous « débarrasser des arabes ». Je lui ai dit qu’à mes yeux une haine en valait une autre et que je ne voulais être débarrassée de personne. Et j’ai quitté la table. J’étais seule, en colère, effrayée. Le point de départ a été celui-ci.


 

Comment as-tu vécu le massacre du 7 octobre en Israël ?
 

Comme auraient dû le vivre tous les êtres humains à chaque fois qu’il y a un attentat, un massacre dans une foule, des jeunes gens décimés dans un festival de musique.

Ce qui a été différent en revanche c’est la réponse à cette violence qui n’a pas été la même que lorsque l’horreur s’abat n’importe où dans le monde. Et ça, je ne m’en suis pas encore remise. Je vis avec une boule dans le ventre en permanence. Comment ce massacre filmé par les bourreaux a-t-il pu libérer plus de haine encore au lieu de créer de la compassion ?


 

Pour mieux comprendre la situation, tu as rappelé les faits historiques qui ont mené à la création de l’État d’Israël. Peu le font. Mais sans connaître le point de départ, il est difficile d’y voir clair dans les relations entre les Israéliens et les Palestiniens. Crois-tu à une paix possible entre ces deux peuples ?
 

Contrairement aux éléments de langage employés, il n’y a pas d’apartheid en Israël. Bien au contraire, c’est un pays très mixte et inclusif. Près de 20% de la population est musulmane et vit en paix avec les juifs. De nombreux musulmans ont des postes à responsabilité, sont au gouvernement et dans l’armée. Donc je pense cela possible évidemment puisque c’est déjà le cas quand ils sont dans un pays en démocratie ! Le problème ne se situe pas au niveau des peuples mais de leurs gouvernants. Et tant que les enfants palestiniens sont éduqués dans la haine des juifs et la célébration des martyrs, on ne peut pas s’en sortir. Tous les extrémismes religieux sont des plaies.


 

«La population de Gaza mérite un État qui ne se serve pas d’elle comme de chair à canon »


 

Comment expliques-tu le silence des féministes devant les viols du Hamas ?
 

L’expliquer serait leur trouver une excuse, une justification. Mais comment comprendre leur raisonnement alambiqué ? Ça ne marche pas avec le narratif mis en place de l’oppresseur et de l’opprimé donc elles préfèrent esquiver la question. Les gens sont souvent assez binaires dans leurs raisonnements et on nous a seriné depuis toujours que les plus faibles étaient les gentils, mais les choses ne sont pas si simples et les plus forts ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Qui est derrière ce qui arrive au peuple palestinien ? Qui le manipule ? Qui le laisse mourir et s’en sert ? Le Hamas, en premier lieu, mais qui finance le Hamas ? On ne peut rien simplifier dans ce conflit. Avoir des réponses toutes faites, stigmatiser les uns et les autres n’aide en rien. 

Et les féministes ne parlent plus au nom de toutes les femmes depuis ce jour sombre.


 

Crois-tu également qu’un État palestinien peut mettre un terme au conflit ?
 

Ça ne peut pas arriver dans cet ordre. Il faut rappeler que de nombreuses solutions à deux États ont été déclinées par les Palestiniens au fil des années, dont une qui leur donnait une grande partie de Jérusalem. Il faut aussi rappeler que Gaza n’était plus occupée depuis 2005, et qu’au lieu de bâtir un État solide, les fonds ont été détournés par les membres du Hamas et une grande partie a été utilisée à des fins belliqueuses.

La population de Gaza mérite un État qui ne se serve pas d’elle comme de chair à canon, un État avec des droits, qui ne soit pas sous le joug de l’islamisme. Comment faire pour les aider ? Certainement pas en récompensant les bourreaux du Hamas avec un label qui ne correspond à rien. Et puis n’oublions pas que l’Égypte (qui partage une frontière à Gaza et ne fait rien pour leur venir en aide, ni aide alimentaire ni ouverture de ses frontières) et la Cisjordanie, devraient rendre une partie de leurs territoires à cet État palestinien à naître. Il faut faire les choses dans l’ordre. Débarrasser les Palestiniens des terroristes qui les dirigent, et créer leur État avec justesse et leur rendre leur dignité. Mais avant toute chose, il faudrait libérer les derniers otages détenus par les Palestiniens ou leurs corps. Et la plupart des gens, le président Macron compris, semblent les avoir oubliés.


 

Pourquoi est-ce que tout ce qui touche Israël passionne les foules ?
 

Ce pourquoi n’a pas de réponse. Pourquoi les gens sont obsessionnels sur ce qui touche au judaïsme ? Il y a 0,2% de juifs sur la planète qui continuent à subir des fantasmes antisémites délirants. Ils sont le réceptacle de la Haine humaine depuis la nuit des temps.


 

Comment expliques-tu la montée de l’antisémitisme en France ?
 

C’est un glissement insidieux que nous avons laissé passer pendant des décennies. Les spores du champignon étaient là, nous les avons laissés voler au vent…

Il n’y a aucune rationalité à la haine envers un groupe de gens quel qu’il soit. Les noirs, les arabes, les chrétiens, les juifs. Qu’ont-t-ils en commun ? A part le délire de ceux qui leurs prêtent une similarité ! Les juifs sont faciles à haïr puisque cela ressemble à une société secrète qui serait responsable de tous les maux. Ça revient cycliquement, souvent lors des crises économiques et sociales.


 

«Il n’y a aucune rationalité à la haine envers un groupe de gens quel qu’il soit »


 

Comment peut-on expliquer que la cause palestinienne retienne autant l’attention et suscite autant de manifestations alors que l’on recense plus de 110 conflits dans le monde et que les Afghanes ont été effacées de l’humanité ?
 

J’aimerais pouvoir tout expliquer… Je ne suis qu’écrivain, je constate. Mais il faut toujours se demander à qui profite le crime. On sait à quel point la Chine et la Russie investissent dans la propagation de fake news. On a des preuves de la complicité de l’UNWRA avec le Hamas. On sait que la commission de la femme est dirigée par l’Arabie saoudite à l’ONU. On sait que les chefs du Hamas vivent dans le luxe au Quatar. Je pense que vous pouvez en tirer quelques conclusions… La première étant que nous vivons peut-être dans un épisode de South Park.


 

Quand on regarde le monde se déchirer, comment vois-tu l’avenir de l’humanité ?
 

Il y a toujours eu des cycles de haine. Elle va se loger quelque part et puis s’en va. Mais on traverse l’œil du cyclone et la violence risque de durer encore. J’ai confiance en l’idée que le Bien reviendra.


 

Pourquoi l’Homme a-t-il toujours besoin de conflits, de guerre ?
 

Parce que nous sommes des animaux violents. Et quand nous ne logeons pas notre énergie dans le bien ou le bon, alors elle trouve un autre réceptacle. La société est en pleine mutation et une animalité s’insurge sans le savoir contre la technologie qui ne sert que partiellement d’anesthésiant.


 

Crois-tu que nous sommes subjugués par le pire ?
 

J’en ai bien peur. Comme on l’est par ce champignon qui pousse au plafond dans mon roman.


 

Propos recueillis par Pascal Hébert







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