Hommage à Philippe Labro, journaliste et romancier
Publié le Par Pascal Hébert

Pascal Hébert
Le journaliste et écrivain Philippe Labro vient de nous quitter. Directeur de RTL durant de longues années, il avait déjà vécu une expérience avec la faucheuse, retracée dans un livre émouvant : "La traversée". Son œil expert et sa connaissance du monde l’autorisaient à commenter avec une rigueur et un professionnalisme reconnus l’actualité française et internationale.
Présentateur du journal de 13 heures (sans prompteur) sur Antenne 2 au début des années 80, il avait également été le premier journaliste français présent à Dallas lors de l’assassinat de John Kennedy. Philippe Labro avait présidé la dixième édition du Prix Bayeux Calvados Normandie des correspondants de guerre en 2003.
Témoin de la société, ce grand journaliste nous avait accordé une interview en janvier 2015. Cette rencontre qui avait eu lieu juste après les attentats de Charlie Hebdo résonne encore quelques bonnes années plus tard.
Pascal Hébert
Interview de janvier 2015
Philippe Labro :« Il ne faut pas se résigner »
Cela fait 70 ans que la France est en paix, le président de la République nous annonce que le pays est en guerre. Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Nous avons une belle langue et il faut faire attention aux mots. Il y a guerre et guerre. On peut considérer que c’est un conflit parcellaire, fragmenté, alors qu’une guerre, qu’on le veuille ou non, il y a deux forces en présence avec généralement une possession du territoire. Il faut faire attention à ce que l’on raconte. L’emploi du mot guerre veut dire que nous avons affaire à des gens qui sont prêts à nous massacrer. Pour leur répondre, il faut utiliser des armes. Dans cette vision sémantique, j’accepte l’idée que c’est une forme de guerre. Il faut faire attention car nous avons connu des actes terribles avec les Brigades Rouges dans les années 70. Là, nous n’avions jamais prononcé le mot guerre.
Pourquoi, contrairement à cette période, sommes-nous en guerre ?
En l’espace de près de deux ans, les actes meurtriers se multiplient sur notre sol et chez nos voisins. Il y a un armement, des réseaux et une volonté de détruire. De plus, nous avons affaire à des gens qui sont identifiés sur des zones géographiques floues. Il s viennent d’un peu partout et malheureusement de l’intérieur. C’est pourquoi le mot guerre est difficile à employer. Celui qui convient le mieux c’est certainement celui de conflit armé. Mais c’est une situation d’une très grande complexité, de difficulté rare d’autant qu’elle est marquée par une tragédie. Nous avons vécu une tragédie.
Un événement majeur
Justement, avec le recul, quelle est votre analyse sur la tragédie de Charlie Hebdo ?
Elle est comme tout le monde. Cela été assez unanime. On s’aperçoit avec le recul que cela ne l’a pas été autant que ça en France. Il y a eu une unanimité sur la surprise, la douleur, l’horreur, la peine. Personnellement, je connaissais plutôt bien Wolinski et un peu moins Cabu. J’avais pour ces gens là le respect et l’admiration qu’il faut avoir pour leur talent. J’ai un sentiment d’accablement et de révolte. Il faut maintenant se redresser et réfléchir aux moyens pour faire face.
Comment ?
On retiendra que ce qui est arrivé à Paris est un événement majeur dans la vie française. Je considère que cela redistribue une partie des cartes. On doit rechercher très loin les racines, les sources et les causes. Cela remonte à dix, vingt ou trente ans peut-être. Ce n’est pas en l’espace de quelques mois ou d’un an que l’on va modifier et transformer, effacer les erreurs et lacunes. Une fois que l’on a déterminé les causes, il faut prendre des mesures. On part sur du très long terme, avec en plus autour de nous, le nuage de l’inattendu.
Un « nuage » qui peut éclater à tout moment…
Pas sûr. Si l’on compare avec les événements du 11 septembre aux États-Unis, les autorités ont craint que cela recommence. Cela n’a jamais recommencé grâce aux mesures coercitives et discutables qui ont été prises. Il y a donc des mesures qui peuvent être efficaces. Transformer le mental, l’éducation, l’attitude d’une jeunesse qui a été endoctrinée, influencée par d’autres forces que celles de la République, cela ne se fait pas en huit jours. Il ne faut pas se résigner, on peut toujours quelque chose. On ne peut pas se permettre de juger. C’est très difficile de juger les décisions qui sont prises tant qu’il n’y a pas un semblant de lueur. On est dans une société qui parle, écrit, débat. Débattre est une chose. Agir en est aune autre.
Apprendre et comprendre
La tragédie de Charlie a fait porter le regard du public sur la presse écrite en difficulté depuis plusieurs années.
La presse a connu un rebond de ses ventes suite aux événements de Charlie. C’est rassurant. Cela montre que le public a besoin de l’écrit pour comprendre, décrypter et être informé. L’info immédiate a montré ses limites. Il y a un avant et un après Charlie. Les quatre quotidiens nationaux français ont été nourris de cet événement.
Est-ce que cela va continuer ?
Je ne sais pas, mais c’est une confirmation qu’il y a l’image, le choc, le tout info. La presse écrite est un berceau d’opinion, d’information autre que ‘’voilà ce qui se passe au moment où ça se passe.’’ Le besoin de comprendre est de plus en plus vital. Apprendre et comprendre.
Propos recueillis par Pascal Hébert
L’hommage de Philippe Labro à Cabu
Philippe Labro a collaboré dans les années 60 avec le dessinateur Cabu : « J’ai un souvenir très précis du talent de Cabu. Il illustrait les articles que je faisais il y a très longtemps, dans les années 60, sur une page entière du Journal du Dimanche, qui s’appelait : On en parle. A l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur. On arrivait au journal avec son papier. On s’asseyait à une table et le papier on le tapait à la machine à écrire. Je soumettais mon article à Cabu, qui était là avec ses lunettes, son visage de gamin, son sourire et sa frange merveilleuse. Je me souviens qu’il lisait l’article avec une rame de papier et un feutre à côté de lui. En l’espace de quatre secondes, il dessinait de quoi illustrer ce qu’il avait lu avec la légende. Il y avait chez lui une fulgurance du talent. Quant à Wolinski, on se connaissait bien. »
Repères
Philippe Labro part à 18 ans en Amérique.
Il est reporter dans les années 60 à Europe 1 et France Soir.
Après l’Algérie, Philippe Labro est journaliste à RTL, Paris Match, TF1 et Antenne 2.
En 1985, il est nommé directeur des programmes de RTL.
Son premier livre Un Américain peu tranquille est publié chez Gallimard en 1960.
En 1986, il obtient le Prix Interallié avec L’Etudiant étranger (Gallimard).
Il a réalisé sept films.