Au grand jamais, de Jakuta Alikavazovic
Publié le Par Pascal Hébert
Francesca Mantonvani
« Il y avait un don dans cette famille. » Mais de quel don parle-t-on ? C’est bien là le mystère que tente de découvrir la narratrice. Issue d’une famille arrivant tout droit de Yougoslavie en 1970, elle tente de remonter le fil de l’existence de sa mère tout juste disparue. Au grand jamais de Jakuta Alikavazovic nous fait entrer dans la vie de ces personnes qui ont quitté leur pays sous le joug d’un gouvernement totalitaire. Un pays où l’âme n’existe pas.
Tout au long de ce roman mêlangeant la réalité et la fiction, nous entrons dans la vie d’une femme qui a connu son heure de gloire avec un petit livre de poésie. Mais son passé demeure flou pour sa fille devenue mère à son tour et à la recherche de ses racines. Baignée dans deux cultures, deux univers bien différents, elle narre avec brio le récit de l’une et de l’autre.
Et tout s’imbrique dans une farandole d’histoires où l’on ressent assez bien que les actes de la mère ont une réelle incidence sur ceux de sa fille. Des questions s’enfilent comme des perles. Pourquoi cette femme, reconnue dans sa patrie d’origine de l’autre côté du rideau de fer, a-t-elle tout quitté pour fuir son pays et la poésie ? Arrivée à Paris avec un trousseau de clés que lui a laissé son amie Mila, elle doit reconstruire sa vie. Mais une part d’elle est restée dans son pays natal. Que se cache-t-il derrière les non-dit, les histoires de famille ? Avec la mort de cette mère pleine de mystère, la narratrice s’attache à trouver des débuts de réponses. Elle découvre de son côté la vie en France en côtoyant une famille bourgeoise. La même qui a employé sa mère pour garder les enfants à son arrivée à Paris. Elle noue une belle amitié avec Thomas, l’un des fils. La jeune femme fréquente également des amis révolutionnaires du groupe ‘‘Ralentir-S’arrêter’’. Tout comme sa mère en son temps avec un groupe de poètes. La poésie étant à cette époque une arme subversive contre le pouvoir en place. Mais la relation avec une mère n’est jamais simple : « J’ai instrumentalisé le désarroi de ma mère. La compassion que j’ai accordée à des personnages sans substance, sans nom ni réalité, je la lui ai refusée à elle, à qui je dois pourtant d’avoir grandi, pauvre, dans ce que j’ai appris plus tard à identifier comme une lumière de riche. »
Tout en déroulant le fil des événements, la narratrice ne peut s’empêcher de revenir sur son comportement vis à vis de sa mère : « Cette sécurité construite sur un art du faire semblant l’a condamnée, après la mort de Mila, son amie, sa confidente, à un isolement radical. Ni d’ici ni d’ailleurs, en butte aux critiques d’une fille qui s’empressait de la railler – ce livre est une tentative de me racheter, un exercice pour la comprendre sans la juger – car j’étais alors aux prises avec une colère que je croyais mienne et dont je pense aujourd’hui qu’elle n’était que l’écho de la colère de ma mère. Mais allez dire à une fille qui brûle qu’elle brûle d’un feu fantôme. »
Avec l’aide de l’ami de la famille Sacha dit “le lynx”, elle parvient à y voir plus clair : « J’ai été sauvée de quelque chose. De quoi, j’ai renoncé à le savoir, mais je n’ai pas renoncé à en sourire. »
Pascal Hébert
Au grand jamais de Jakuta Alikavazovic. Éditions Gallimard. 250 pages. 20,50 €









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