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Le Nain Jaune, de Pascal Jardin

Publié le  Par Pascal Hébert

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Étrangement, certains livres que vous vous promettez de lire vous attendent dans des endroits improbables. C’est le cas du "Nain Jaune", de Pascal Jardin. Je le trouve posé sur une table de chevet dans une maison, face à la mer en plein Finistère. Après avoir lu Des gens très bien, le livre à charge d’Alexandre Jardin contre son grand-père Jean Jardin, il me manquait la version de Pascal Jardin dit le Zubial, le père d’Alexandre, pour mieux cerner le personnage du Nain Jaune.

Pascal Jardin s’est fait connaître dans les années 60 grâce à des scénarios qu’il signe pour des films comme "Le chat", "La veuve Couderc" et surtout "Le vieux fusil". Pascal Jardin reflète bien cette humeur des années 60/70 avec un mélange d’optimisme amer et de pessimisme gai. Ce n’est pas pour rien que l’on retrouve dans son sillage des hommes comme Claude Sautet et le brillant compositeur François de Roubaix, qui a signé les meilleures partitions musicales du cinéma de ces années bénies.


Grand prix de l’Académie française en 1978, "Le Nain Jaune", de Pascal Jardin n’a pas manqué de faire réagir l’académicien Jean d’Ormesson : « Du Nain Jaune, je parlerais pendant des heures et des heures. Il y a tant de choses derrière ce mélange de tendresse et de drôlerie. C’est un livre admirable. Un des meilleurs que j’aie lus depuis des années. »


Deux ans après la mort de son père en 1976, Pascal Jardin s’épanche dans un livre émouvant sur celui que l’on surnomme "Le Nain Jaune". Un drôle de pistolet, ce Jean Jardin ! Un personnage ambigu à souhait et particulièrement opportuniste dès qu’il approche le pouvoir. Le sommet de son ascension intervient pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il deviendra le directeur de cabinet de Pierre Laval, au printemps 1942, jusqu’à son départ pour la Suisse, le 30 octobre 1943. C’est en Suisse, où il devient premier conseiller à l’ambassade de Berne, que son influence s’étend. Le Nain Jaune multiplie les réseaux jusqu’à devenir le porte-valise des fonds destinés aux partis politiques de l’après-guerre. A propos de son itinéraire dans la guerre, Pascal Jardin n’en tire que cette remarque onirique : « La guerre, elle l’a aidé à vivre mieux. C’est à dire plus fort, plus vite, plus dangereusement, à se construire, à se détruire pour mieux se métamorphoser ensuite. Et puis, fait stupéfiant, il aimait le désespoir. Il l’aimait comme les jeunes filles aiment l’amour. Il voyait en lui le vrai miroir de la lucidité. »
 

 

Les questions d’Alexandre Jardin  

 


Pascal Jardin, dans son livre, tente de traverser le miroir pour décoder ce personnage qu’il semblait autant détester qu’admirer : « Il gardait pour lui sa secrète blessure et possédait un charme au pouvoir magique pour arranger la vie des autres. Rencontrer le Nain Jaune, ce n’était pas aisé. C’est un chemin de crêtes, un passage frontalier guetté par des gens pour la plupart ennemis. Mon père était mon roi ? Un roi phénix. »


Quelques années plus tard, alors que Pascal Jardin a rejoint son père en 1980, Alexandre prend la plume pour mettre en plein jour le passé peu glorieux du Nain Jaune, vite esquissé par son père dans son livre. Alexandre n’a pas l’intention de laisser les pesants mystères dormir en paix dans le caveau familial. Contre vents et marées et surtout contre sa famille, il s’autorise à ôter à son aïeul le droit de se taire. Pour Alexandre Jardin, il est impossible que Jean Jardin, alors directeur de cabinet de Pierre Laval, chef du gouvernement de l’État français xénophobe et antisémite, n’ait pas été informé de la rafle du Vélodrome d’hiver de juillet 1942. Compte tenu de ses fonctions auprès de Pierre Laval, la question peut être légitimement posée. Mais rien d’officiel n’atteste qu’il était mêlé de près ou de loin à cette rafle. Néanmoins, lorsque l’on travaille à proximité d’un collaborateur aussi zélé que Pierre Laval, il est difficile de penser que le Nain Jaune n’ait jamais eu connaissance, dans les réunions de cabinet, du lancement de la rafle du Vel d’hiv. Réfugié en Suisse, ce citoyen a échappé à la justice de son pays pour répondre de ses actes au sein du gouvernement de Vichy. Prévoyant ses arrières, tout en étant directeur de cabinet de Pierre Laval, Jean Jardin a joué sur tous les tableaux en aidant des amis et des résistants.

 

Le silence tue


Pour Alexandre Jardin, le silence tue. Il était était important, voire vital, de dénoncer publiquement ce silence complice de ‘‘gens très bien’’ qui ont cru et qui croient toujours qu’ils étaient du bon côté de l’Histoire. Le fils de Pascal Jardin n’a jamais oublié que la photo de Pierre Laval a trôné sur le bureau de son grand-père jusqu’à sa mort en 1976.


L’histoire de Jean Jardin, vue par le fils et le petit-fils, nous montre ô combien la nature humaine est complexe et que le niveau des sentiments que l’on éprouve pour une personne peut nous la faire apprécier peu ou prou jusqu’à fermer les yeux sur l’impardonnable. Deux ans avant de mourir d’un cancer, Pascal Jardin, dans une conclusion prémonitoire pouvant lui servir d’épitaphe disait : « Peut-être un jour, quelques amis, de ceux qui restent au vent, diront de moi que tel mon père, et instruit par lui de l’art de la comédie, j’aurai vécu mon désespoir comme il a vécu le sien, le plus gaiement possible. »


Pascal Hébert

"Le Nain Jaune", de Pascal Jardin. Éditions Julliard.







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