Tard dans la nuit : Yves Simon
Publié le Par Pascal Hébert
Pascal Hébert
ll y a des rencontres qui vous marquent, vous éblouissent. Ce sont de belles parenthèses temporelles. Ce premier pas de côté est consacré à Yves Simon, romancier, chanteur. Les mots viennent malgré moi tard dans la nuit.
Yves Simon perce en même temps dans la littérature et la chanson au tout début des années soixante-dix. Avec sa barbe cachant un visage émacié et deux grands yeux « plantés là comme des clous », il prend ses marques. Tranquillement. Est-il chanteur ? Est-il romancier ? Les deux, mon capitaine. Fin musicien, il sait trouver le bon tempo dans chacun de ses livres. Avec l’appui de Jean-Claude Dequéant, un arrangeur original appréciant les chœurs, il dégaine plusieurs albums rencontrant un vif succès avec des titres phares comme Au pays des merveilles de Juliet, J’ai Rêvé New-York ou encore Raconte-toi et Diabolo menthe. C’est au cours de cette période que je découvre l’univers d’Yves Simon grâce à un ami qui me fait écouter en 1975 l’album Respirer, chanter. Une véritable respiration dans le monde de la chanson placée sous le signe de la Variété.
Yves Simon écrit merveilleusement bien des textes intelligents, poétiques portés par une voix douce et chaleureuse. Avec un rythme plus rock que ses collègues barbus qui traînent sur les rives de la chanson (plutôt rive gauche), Yves parle de la solitude, des villes, des lumières, des rencontres et surtout des sentiments. Il fait partie du cercle très restreint des chanteurs que j’ai envie d’interviewer. Mais ce ne sera pas au cours d’un concert puisqu’il a renoncé à la scène en 1977… avant un retour en 2008 avec une belle soirée inoubliable à l’Olympia. Il me faudra attendre le bon moment. Le temps de mieux le connaître à travers ses romans qu’il continue d’écrire (L’amour dans l’âme, Transit-Express, Océan, Yves est le premier écrivain vivant que je lis) et de ses albums qui se succèdent à intervalle régulier. Lorsqu’Yves Simon nous parle des femmes de sa vie, il prend la plume Sergent-Major pour nous dessiner avec délicatesse les visages de celles qui ont laissé leur empreinte.
Des yeux qui vous transpercent jusqu’au bout de l’âme
Tout commence en 1983 lorsque j’apprends que Jean-Claude Déquéant réside en pleine campagne à quelques encablures de Bayeux. J’approche ce brillant arrangeur par le biais de Sophie, son épouse. Au cours de l’interview pour le magazine La Renaissance - Le Bessin, Jean-Claude Dequéant m’apprend qu’il travaille depuis six mois avec Yves à l’élaboration de l’album USA-USSR. Deux ans plus tard, par l’intermédiaire de José Ferré, secrétaire d’Yves, la rencontre a lieu pour le journal de Chartres L’Écho Républicain. José Ferré, qui habite rue Monsieur-le-Prince à Paris, est mon passeport pour approcher le chanteur. C’est dans son bureau que j’écoute pour la première fois l’album L’autre côté du monde… avant de courir place Dauphine au domicile d’Yves. Cette première rencontre est une véritable parenthèse temporelle. Lorsque je monde l‘escalier pour atteindre l’étage de son appartement, la porte est déjà entrouverte. Je pénètre silencieusement dans la pièce principale encombrée de livres, de magazines, d’une guitare électrique. Yves est de dos et travaille sur son Mac posé sur un petit bureau face à la fenêtre donnant place Dauphine. Lorsqu’il se retourne, avec un sourire en guise de bienvenue, nos regards se croisent. Comment oublier ces yeux qui vous transpercent jusqu’au bout de l’âme. Yves se révèle chaleureux, rieur et l’interview se transforme rapidement en une conversation qui dure toute l’après-midi. Véritable puits de science, Yves éclaire avec ses analyses, son intelligence, mes questions sur la chanson, ses textes, ses livres, l’actualité, le monde en marche.
Yves est un homme attachant, plein de surprises. Il m’accompagne tout au long de ma vie. On se retrouve régulièrement dans son appartement parisien, chez Grasset, à la Rhumerie ou dans un autre restaurant pour parler de son dernier CD ou de son dernier livre. Les conversations débordent sur nos vies. C’est un homme curieux de tout. Lorsque je l’appelle pour organiser une rencontre avec Yann Queffelec, il dit oui spontanément. A l’issue de ce déjeuner où les deux hommes échangent leur point de vue sur la littérature, Yves désire que l’on parle de la montée du Front national en France et à Dreux. Notre entretien se termine avec cette phrase définitive : « Je dénie au Front national le droit de s’approprier la France. »
Vivre et aimer
Lorsque je désire organiser des rencontres littéraires avec les élèves du lycée Rotrou de Dreux (Eure-et-Loir), Yves donne son accord pour lancer l’opération. Durant trois mois, les lycéens placés sous la houlette de Thierry Méranger, professeur agrégé de français, travaillent les textes des chansons et les romans d’Yves. A la fin de l’année 2000, les échanges dépassent toutes mes espérances. Les élèves ont travaillé leur sujet et les questions fusent. La rencontre, initialement prévue une heure, passe à deux heures. Yves se révèle pédagogue et particulièrement délicat lorsque des questions personnelles, touchant les élèves se reconnaissant dans certains personnages de ses romans, lui sont posées. Les bases de ces rencontres écrivains-lycéens sont posées. D’autres, comme Patrick Rambaud, Claire Castillon, Amanda Sthers, Yann Queffelec, Elisabeth Barillé, Sorj Chalandon ou Shan Sa lui succéderont.
La dernière fois que nous nous sommes parlés remonte à quelques années. Je lui apprenais que j’avais vu une reprise émouvante de Sako, seule à la guitare, interprétant sa chanson Diabolo Menthe.
Yves Simon est un buvard de l’époque qu’il a si bien retranscrite dans ses chansons ou ses livres. C’est un homme de rencontre « Rencontres ordinaires, rencontres prestigieuses, j'ai plus que tout aimé accéder à des personnes qui ne m'auraient jamais adressé la moindre parole sans tous les messages écrits ou chantés que je leur avais déjà envoyés. » explique-t-il.
Il faut écouter chanter Yves Simon, apprécier son picking unique à la guitare et continuer de lire ses romans pour découvrir les autres, le monde... et beaucoup de soi. Dans le mot Aujourd’hui, l’auteur d’Un amour à Tokyo a glissé deux verbes : vivre et aimer.
Pascal Hébert









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