Paris (75) Culture

L'écrivain Jean Raspail est décédé

Publié le  Par Fabrice Bluszez

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Eric Morain

L'écrivain Jean Raspail est décédé à Paris ce samedi 13 juin, à 94 ans. Il est l'auteur de : "Secouons le cocotier", "Le Camp des saints", "Qui se souvient des hommes"...

Un profil singulier : explorateur, écrivain, humaniste à la recherche de nations oubliées, détruites, comme celles des Indiens d'Amérique, puis des Arawaks et des Caraïbes aux Antilles (Secouons le cocotier, Bleu caraïbe et citrons verts), Jean Raspail s'est posé la question de l'effondrement des civilisations (les Alakalufs de Patagonie dans Qui se souvient des hommes). Il a imaginé dans Le Camp des saints,  l'arrivée massive des migrants dans une armada de la misère voguant vers les rivages de l'Europe. Il fallait bien une fidélité, celle de Jean Raspail va au roi et il écrit Sire, puis Sept Cavaliers sortirent au crépuscule par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée... Toujours les mêmes valeurs de fidélité, d'honneur, avec une envie de reconstruire dans un univers qui vieillit et se meurt. Et des terres de conquête, des terres lointaines, comme dans Les Royaumes de Borée.


Jean Raspail dans son bureau (photo Grégoire Dubost).


L'entretien qui suit date de 2016. Il est paru dans le périodique Action française 2000.
 

L’actualité fait inévitablement écho au Camp des saints. En écrivant ce roman, dans les années 70, aviez-vous conscience qu’il s’avérerait prophétique ?
 

Jean Raspail – Il est certain qu’il y a une coïncidence prophétique dans Le Camp des saints. Je ne sais pas pourquoi, je l’avais senti en 1972... Mais le problème a changé de nature. Il s’est compliqué. Une double menace pèse sur l’Europe. Il y a, d’une part, la question du djihad. C’est assez clair : les islamistes nous tirent dessus ; nous devrions en faire autant ! On sait où est l’adversaire et ce qu’il représente ; on sait qu’il est nocif et qu’il veut l’être. D’autre part, il y a la question des migrants. C’est précisément l’histoire du Camp des saints – qui d’ailleurs finit mal, si vous vous en souvenez, mais c’est un roman : ils arrivent ; ils sont faibles, ils ont froid, ils ont faim ; il y a des femmes et des enfants ; ils ne sont pas armés. Que fait-on ? Il n’y a pas d’action violente là-dedans. C’est la faiblesse qui triomphe de la force ! Comme souvent, parce que la force ne veut pas s’employer... Cela s’avère beaucoup plus dangereux pour nous : le nombre nous étouffera et surtout étouffera notre mode de vie, nos traditions. Ce qui est valable pour la France et pour une grande partie des pays européens. Certains ont d’ailleurs réagi plus activement que d’autres... Les petits pays sont plus forts ! Dans un roman publié en 1993, Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée, vous évoquez précisément l’effondrement de l’Europe. Certains personnages devraient-ils être donnés en exemple ? Qu’en est-il, notamment, du cadet Vénier qu’affectionne le dessinateur Jacques Terpant ? Je ne sais pas ce qu’il faudrait faire... Dans ce roman, un souverain envoie sept cavaliers à travers l’Europe. Ils trouvent le désordre et le désastre partout. C’est un livre très pessimiste, mais que j’aime beaucoup : car si la vieille Europe meurt, elle le fait ici avec une certaine allure ! Dans Septentrion, qui est antérieur (1979), ou Les Royaumes de Borée (2003), c’est un peu la même chose : ces livres racontent un déplacement qui est une conquête à reculons. Les gens fuient ; mais quand ils passent quelque part, ils établissent une nouvelle présence. Ils partent avec quelque chose, peu nombreux ; ils le maintiennent et le reconstruisent à leur façon. Dans Sept cavaliers, c’est extrêmement net. Quant au cadet Vénier, il retrouve son domaine où il n’y a quasiment plus personne. Il dit : « On recommence tout. Et c’est moi le chef ! » Mais dans Le Camp des saints, ce n’est pas ça du tout. Le Camp des saints se rapproche beaucoup plus de l’état d’esprit calamiteux de ce pays. Peut-être tout cela se transformera-t-il en une sorte de guerre civile. Un écrivain l’a très bien vu, Jean Rolin, dont on a très peu parlé du dernier livre, Les Événements. La France est envahie ; il n’y a plus d’armée, plus de gouvernement, plus rien du tout – et deux camps qui se battent. Ce livre énonce davantage la vérité que celui de Houellebecq – quoique Houellebecq l’ait dit aussi.


Vos livres et les inquiétudes qu’ils reflètent ont-ils été inspirés par vos voyages ? En Amérique, vous avez observé la fin des Indiens ou des Alakalufs. Peut-être avez-vous pris conscience à cette occasion que les civilisations n’étaient pas durables ?


Peut-être pourriez-vous croire que ma vie a été construite. Que je suis allé faire ces voyages pour en tirer des conclusions qui auraient mené au Camp des saints... Mais non ! Quand je suis parti pour un voyage en canoë, je ne savais même pas que j’écrirais des livres. Cependant, il est certain que les voyages et les livres ont à voir les uns avec les autres. Les Français sont une minorité dans le monde. Or en me penchant sur des groupes ethniques minoritaires, comme les Indiens fuégiens, les tribus aïnous du Japon, les Indiens caraïbes et d’autres encore, j’en ai tiré une maxime. Article 1 : toute minorité ethnique ou culturelle qui refuse de s’adapter est perdue. Article 2 : toute minorité ethnique ou culturelle qui s’adapte est perdue ! Donc, il n’y pas de solution... Dans ces conditions, est-il toujours opportun d’être patagon ? Cela-t-il encore un sens ? Oh oui ! Et comment alors ! La Patagonie, c’est dans la tête. Mais il y aussi la Patagonie telle qu’est, avec son histoire, ses Indiens qui ont presque tous disparu. C’est le progrès qui a tué les Indiens de l’extrême Sud. Ce ne sont pas des massacres. Ils ont disparu comme nos hameaux des Pyrénées, du Vercors ou d’ailleurs. José Emperaire, le grand ethnologue, disait que les Alakalufs avaient été tués par le stress et le sentiment d’indicible tristesse qu’ils avaient de voir arriver des gens avec des moyens extraordinairement supérieurs. Les Alakalufs étaient des marins : ils circulaient dans de petits canots, avec des rames, parfois une sorte de voile. Ils virent arriver Magellan avec ses caravelles grandes comme cinquante fois leurs canots. Ce fut un choc terrifiant. José Emperaire explique également la stérilité des femmes des Alakalufs, Yagans ou Onas par le découragement. D’ailleurs, quand je regarde mes arrière-petits-enfants, je me demande dans quel monde ils vont vivre. Mais c’est une réflexion un peu idiote, parce qu’au fond, la nature humaine étant essentiellement adaptable, il n’y a pas de raison qu’ils ne prennent pas le tournant...


Comment êtes-vous devenu royaliste ? Attendez-vous un roi de vitrail, comme vous l’avez écrit ?


Je suis devenu royaliste par raisonnement. J’ai toujours pensé que la monarchie était la seule forme non pas de gouvernement mais de représentativité nationale qui puisse exister. Mais maintenant, je suis royaliste hors sol. C’est-à-dire que je n’ai pas de prétendant. Or c’est embêtant d’être royaliste sans prétendant... Est-ce que vous le voyez arriver, vous, le roi de vitrail, parmi les prétendants ? Nul ne dit : on est là pour revenir, c’est même notre seule raison d’exister. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit Le Roi au-delà de la mer. Il faut reconnaître que le comte de Paris, celui de la Guerre, pensait à cela. Il s’est trompé, c’est possible, mais il y pensait. Je n’ai jamais fait partie du sérail royaliste, mais c’est pour cela aussi que j’ai écrit Sire. Pour les princes. Rappelez-vous la jeunesse de Napoléon III : il a fait deux tentatives de putsch ; il a fait de la prison ! Cependant, je crois que le roi n’émergera un jour, avec des personnes autour de lui, que s’il fait, sans violence – parce que l’histoire des putsches, c’est fini – une France parallèle. Pas secrète, mais avec des actions nettes. Il y a des formes de protestation et d’action à trouver. Comme celles des veilleurs. Je verrais très bien le prince Jean venir se planter avec quarante personnes devant l’Élysée, le plus dignement possible... Le président de la République tient une conférence de presse régulière. Imaginez que le roi de droit – ce n’est pas mal comme expression ! – en tienne une lui aussi, un mois après, à peu près sur les mêmes sujets.... J’ai essayé de le dire comme je le pouvais : il faut grimper sur son cheval ! Mais je suis romancier, je vous le signale. Il ne faut pas l’oublier.


Propos recueillis par Fabrice Bluszez et Grégoire Dubost 







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